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était chancelier de l’Empire, a été aussi impitoyable pour la Pologne que l’avait été avant lui le prince de Bismarck, et ce n’est pas peu dire ! « Les frontières des Etats, écrit-il, ne séparent pas les nationalités les unes des autres. S’il était possible que les membres de différentes nationalités, avec leurs différons idiomes, leurs mœurs et leur vie intellectuelle de genres divers, vécussent côte à côte dans un seul et même Etat sans succomber à la tentation de s’imposer mutuellement leur nationalité particulière, la face de la terre aurait un aspect beaucoup plus pacifique. Mais c’est une loi dans la vie et l’évolution historiques, que là où des cultures nationales différentes se touchent, elles se disputent la première place. Que là où deux nationalités différentes sont attachées au même sol, il soit difficile de les satisfaire toutes deux ; que, dans de pareilles conditions préalables, des froissemens se produisent aisément ; et, comme cela peut arriver, que des mesures prises d’un côté dans de bonnes intentions provoquent de l’autre côté l’émotion et la résistance : tout cela n’apparaît peut-être nulle part aussi clairement que dans cette partie de la vieille Pologne où, après le partage, on s’est le plus prêté aux désirs des Polonais. « C’est une étrange prétention de la part de la Prusse d’avoir été, des trois co-partageans, celui qui s’est le mieux prêté aux désirs des Polonais : en réalité, elle a été le plus malhabile et finalement le plus brutal, et c’est en Pologne plus peut-être que partout ailleurs, plus que dans les duchés de l’Elbe, plus même qu’en Alsace-Lorraine, parce que son action s’y est exercée plus longtemps, que son inaptitude radicale à s’assimiler une race étrangère s’est manifestée avec le plus d’évidence.

La politique prussienne est partie du principe, posé par M. de Bülow, qu’ « une civilisation supérieure a, de tout temps, donné un droit politique : » et, comme la Prusse a une civilisation supérieure à toutes les autres, elle s’arroge partout et sur tous un droit politique prééminent. Exerçant ce droit en Pologne, elle s’est proposé d’y établir une colonie allemande par l’élimination des Polonais. Elle y a échoué pour des motifs qu’il serait trop long d’exposer ici et alors elle est devenue persécutrice jusqu’à la férocité. Elle s’est proposé résolument, systématiquement, impitoyablement, d’expulser les Polonais au moyen de l’expropriation et de prendre leur place. M. de Bülow expose avec complaisance, mais malheureusement avec inexactitude,