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L’ALSACE-LORRAINE ET L’ALLEMAGNE.

En réalité, ce n’est là que la réédition d’une ancienne légende dont les érudits modernes ont fait justice. Les Allemands l’ont imaginée pour légitimer après coup l’usurpation de Henri l’Oiseleur qui, mettant à profit les luttes intestines de la France occidentale, les embarras que les Normands causaient à Raoul, ses conflits avec Guillaume d’Aquitaine ou Herbert de Vermandois, était parvenu à mettre la main sur la Lorraine, à l’incorporer violemment à la Germanie, dans laquelle déjà la Francie orientale avait été absorbée. C’était en réalité une occupatio bellica qui heurtait de front l’esprit d’indépendance nationale des Lorrains, et, pour se prémunir contre leur résistance, Henri l’Oiseleur dut accorder au prince indigène Giselbert le ducatus de la Lorraine, avec la main de sa fille Gerberge (928).

Ni ce mariage, ni cette concession n’atteignirent le but visé, et nous allons voir combien fut précaire, avec quelle fréquence fut rompu le rattachement par la force de la Lorraine à la Germanie. J’espère prouver aussi que nul traité régulier, soit des derniers Carolingiens, soit des Capétiens, n’a jamais transformé l’état de fait en état légal.

Si Giselbert a pu être relativement fidèle à son beau-père Henri l’Oiseleur, il prit, dès 936, une attitude hostile au regard de son successeur Otton Ier, en même temps qu’il s’efforça de jouer un rôle dans les affaires de la France. En 939, lui et les principaux comtes lorrains, Otton, comte de Verdun, Isaac, comte de Cambrai, se rendent auprès de Louis d’Outremer, le reconnaissent pour souverain et lui font hommage ou fidélité. Les évêques lorrains, nous le savons, eussent fait de même, s’ils n’avaient été retenus par les otages donnés à Otton Ier. Un certain nombre d’entre eux n’en vinrent pas moins dans le Verdunois se soumettre au roi de France, et d’autres, tels que l’évêque de Strasbourg, qu’Otton avait emmenés au siège de Brisach, décampèrent de nuit et allèrent se joindre à Giselbert.

C’en était fait, semblait-il, de la domination saxonne en Lorraine, et le royaume de la France médiane paraissait sûr d’être reconstitué, soit directement au profit de Louis d’Outremer, soit avec Giselbert pour roi, sous la suprématie de Louis. Un coup de fortune guerrière en disposa autrement. Victime d’une surprise, Giselbert périt dans le Rhin, à Andernach. Le roi de France, consterné par cette perte, se hâta bien d’accourir en Lorraine, il épousa même sans délai la veuve de Giselbert,