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(peut-être pour légitimer par en-dessous sa possession) avait institué duc de Basse-Lorraine, toute l’aristocratie du pays enfin se tournent vers le roi de France. L’esprit de la population lui est favorable ; la fidélité aux Carolingiens a survécu, comme il apparut au siège de Verdun.

Lothaire, en effet, prend et reprend Verdun (985.) Il se dispose à assiéger Liège et Cambrai. Son succès paraît inévitable, malgré la trahison de l’archevêque de Reims, Adalberon, quand il est surpris par la mort (février 986.)

Louis V ne vécut pas assez pour reprendre l’œuvre ainsi interrompue. Il dut l’ajourner sous la menace d’une invasion allemande, mais aucun de ses actes n’indique qu’il y ait renoncé, et nul doute que, si Charles de Lorraine fût devenu roi de France, il n’eût récupéré la couronne de Lorraine.

Autant il est certain que l’avènement des Capétiens fit d’abord obstacle à cette reprise, autant j’estime qu’il laissa intacts les droits qu’avait sur la France du milieu le seul royaume de France survivant. À supposer même (ce que je n’admets pas) que les droits des Carolingiens n’eussent point passé à la dynastie nouvelle, la suprématie franque n’en restait pas moins sauve. Elle n’était pas attachée à une dynastie, mais au regnum Francorum. Supposons que la Lorraine fût restée un tel royaume, fût restée une France, et que le royaume de France occidentale eût disparu (absorbé, par exemple ; par les Normands), c’est le roi de Lorraine qui aurait hérité de la suprématie sur la Gaule. Si, d’autre part, la Lorraine a cessé d’être une France, elle n’a pas cessé d’être une entité ethnique sur laquelle les droits du rex Francorum ont survécu.

Le plus récent, et j’ajoute le plus savant historien moderne de la Lorraine, M. Parisot, a mis au-dessus de toute contestation que la Lorraine est restée, par sa civilisation plus avancée, par ses mœurs et ses aspirations, par son esprit particulariste, par la langue française qu’elle parlait, par ses sentimens traditionnels enfin, un pays profondément distinct de la Germanie. La tradition n’a cessé d’être vivace du Rhin limite de la Gaule ; la rive gauche a continué à s’appeler regnum Lotharii par opposition à la terra teutonica, ses habitans Lotharienses et même Lotha-Karlenses (ce qui est spécialement caractéristique, les Karlenses étant les Français), par opposition aux Teutonici ; les manifestations d’esprit national se succèdent sans interruption ;