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La Reine, tout étourdie par ces nouvelles, y devinait une vérité qu’on ne lui livrait que peu à peu et morceau par morceau. Ses fils étaient partis ! Ils s’étaient joints aux insurgés. Ils l’avaient fait, sachant qu’elle approchait de Florence, et, quoi qu’en dit ce domestique, sachant aussi par quel chemin. C’était pour le faire qu’ils l’avaient invitée à quitter Rome. Jusque-là, elle était un otage aux mains du Pape ; ils hésitaient à prendre un parti qui pouvait attirer sur elle des représailles ; en venant à eux, au contraire, elle les rejetait du côté de la Révolution ; elle s’y jetait elle-même ; elle retrouvait ici le danger auquel elle aurait voulu se soustraire, et plus inquiétant, plus imminent depuis qu’en pensant le fuir, elle avait couru au-devant de lui.

Toutes ces idées, en l’assaillant ensemble, abattaient le reste de ses forces et la jetaient dans la prostration. Heureusement elle avait auprès d’elle son « bon chevalier », M. de Bressieux, accouru chez le roi Louis « pour le rassurer », disait-elle, ou plutôt pour se renseigner, car le roi, calme, quoique mécontent, n’avait nul besoin d’être rassuré. Au retour, le parti du chevalier était pris de retourner sur-le-champ à Rome par le chemin d’Arezzo. Il acceptait d’emmener dans sa voiture Pieoni, le conspirateur. Mais pour cela, une rectification de passeport était nécessaire. La police toscane, méfiante à bon droit, faisait mille objections, élevait mille difficultés. L’inépuisable M. de Bressieux se multipliait à mesure et n’était pas quitte avant minuit de tous ces ennuis.

La Reine, pendant ce temps, écrivait à ses fils ; elle me montrait ses lettres, puis les déchirait sur un mot de moi, pour en commencer d’autres, les déchirer encore et revenir bientôt à sa première inspiration. C’était l’anniversaire de la mort du prince Eugène ; elle parlait en pleurant de son frère, puis de l’Empereur, à qui elle s’adressait autrefois dans ses grands chagrins. Elle faisait mille recommandations à Pieoni, comme si cet homme pouvait comprendre des leçons de prudence et s’il n’appartenait pas corps et âme à la Révolution. Enfin, à une heure du matin, ayant remis à M. de Bressieux, en un petit paquet, les objets apportés de Rome pour le prince Louis, j’ai vu s’achever cette soirée mortelle et commencer en même temps un pire lendemain.

Je déjeunais en face de la Reine ; M. de Bressieux, retardé