Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 23.djvu/306

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

détresse où elle est, les visites des Russes, leurs propos fugitifs et superficiels sont encore pour elle un réconfort.

M. Gortchakof fait pour elle tout ce que la courtoisie commande et rien de ce que l’intérêt vrai pourrait ordonner. Il évite surtout de lui livrer aucune nouvelle politique, par crainte de la déterminer à quelque démarche dont la responsabilité retomberait sur lui. M. de la Ribeaupierre retourne à Pétersbourg, où l’on dit qu’il va devenir ministre : encore un dévouement qui s’en va ! M. Boutourline se présente avec une admiration passionnée pour l’Empereur et un mince attachement pour la famille impériale. Il remercie pour une romance écrite de la main de la Reine, qu’il a reçue d’elle avant de quitter Rome. Il voudrait qu’elle se mit sous la protection de l’empereur Nicolas en écrivant une lettre que lui-même ferait parvenir. Les Autrichiens, selon lui, n’interviendront pas, du moins quant à présent. La voyant renaître, à cette assurance, il dit encore, par consolation, que les princes pourraient peut-être réussir, que leur parti n’est pas sans quelques petites chances de succès ; mais ils se sont engagés trop tôt ; ils sont appelés à mieux que cela, et les agitations de la France leur réservent peut-être de plus belles destinées. Son opinion sur la Pologne est catégorique : la Révolution polonaise ne peut réussir ; elle motivera de sanglantes représailles, qui ne sauraient tarder.

Ma conclusion à moi, au bout de tout cela, c’est que la Russie et l’Autriche se donnent la main pour étrangler les nationalités. Elles regardent le soulèvement des Romagnes comme un jeu d’enfans, qu’on peut à volonté permettre avec un haussement d’épaules ou bien interrompre en distribuant à droite et à gauche quelques coups de fouet. Elles oublient que la cause des peuples est une, qu’ils tiennent les uns aux autres comme les rois font entre eux, que les Polonais à l’avant-garde, les Italiens à l’arrière-garde, tous ont les yeux fixés sur la France, patrie de tous les droits et de tous les progrès.

Quels exemples donne-t-elle cependant au monde, cette France chérie, sinon ceux du désordre et de la confusion ? Le 10 février, sur de mauvaises nouvelles reçues de Pologne, des vitres ont été cassées à l’ambassade de Russie, rue du Faubourg-Saint-Honoré. Le 13 février, une échauffourée a eu lieu à l’occasion du service célébré pour le duc de Berry. Elle était provoquée par les ultras : le peuple leur a répondu le lendemain par le sac de l’archevêché.