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quand ils ont été partis. J’ai dit que l’attitude du prince Napoléon était naturelle ; que, porté par les insurgés au commandement de l’avant-garde, il avait qualité pour poser des conditions au Pape, puisque c’est aux avant-postes que passent les parlementaires et qu’on ne fait la guerre au Saint-Père que pour traiter avec lui ; qu’une défection des troupes pontificales pouvait se produire ; que si elles attaquaient, leur effort viendrait se briser contre les savantes fortifications élevées par le prince Louis autour d’Otricoli ; qu’une poursuite achèverait la victoire ; qu’alors les deux frères entreraient triomphalement dans Rome, qu’ils en seraient les maîtres, selon le vœu même exprimé par l’empereur sur son lit de mort.

La Reine hochait la tête et ne me croyait pas. Elle avait reçu une lettre de M. de Bressieux. Elle parlait de partir pour Ancône, afin d’y rejoindre ses fils, ou bien pour Naples, si par bonheur on les lui renvoyait ici. Mais, pour aller à Naples, il faudrait passer par Rome, sa résidence préférée, qu’elle prévoit devoir lui être désormais fermée. Elle revenait donc s’embarquer à Livourne et, cette fois, faisait maison nette de tout ce qui l’entoure. Ce départ en rêve la portait au delà de Naples ; elle ne s’arrêtait plus qu’à Smyrne, où le duc de Rovigo a résidé longtemps et dont il a souvent vanté devant elle le site enchanteur. Là, elle attendrait la mort, au soleil et parmi les fleurs. Louis l’aurait suivie. Napoléon viendrait la voir. Ils seraient heureux auprès d’elle. Personne ne les gronderait plus...

En l’écoutant, je la plaignais de tant de faiblesse et d’incertitude ; les vers mélancoliques qu’Arnaud a faits sur elle me revenaient à l’esprit :


De ta tige détachée
Pauvre feuille desséchée,
Où vas-tu ? — Je n’en sais rien...


Vendredi, 11 mars.

De fausses nouvelles, apportées ici dimanche par la Gazette de Gênes, nous avaient fait croire à un changement dans le ministère français. MM. Mauguin et Odilon Barrot auraient remplacé les deux principaux doctrinaires, le duc de Broglie et M. Guizot ; la guerre aurait éclaté entre la France et l’Autriche ; les généraux Lamarque et Gérard marcheraient sur le Piémont.