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mots voulaient dire ; tâchant d’épier l’avenir à travers les voiles du présent, ils questionnaient vainement et ne comprenaient point. Ils assistaient, sous Léon XIII, au progrès constant d’un réveil religieux, à une réaction notoire contre les philosophies qui demandaient à la science plus que la science ne pouvait donner ; ils surprenaient, au fond de certains cœurs, sous la forme, balbutiante encore, d’un hommage à l’Inconnaissable, l’élan vers un autre ordre de connaissances, méprisées à tort par l’empirisme positiviste. Que venait leur dire, dès lors, cet importun Malachie, mauvais prophète de mauvaises destinées, quand il avait l’air d’affirmer qu’à bref délai l’immense troupeau quitterait la vieille Eglise et la laisserait dépeuplée ?

Puis ils observaient Pie X, et ce Pape, aussi, les rassurait. Demeurant, sur le siège de Pierre, le pasteur qu’il avait été sur le siège de Marc, et justifiant avec une parfaite exactitude de zèle son titre d’Evêque de Rome, Pie X renouvelait la vie paroissiale dans la Ville Eternelle ; au delà de ses fenêtres du Vatican, qui dominent le monde, ses yeux aimaient à s’arrêter, avec une complaisance touchante, sur les besoins spirituels de ces habitans de Rome qui étaient, à proprement parler, ses diocésains ; il vivifiait les paroisses existantes ; dans ces cimetières spirituels qu’étaient les faubourgs de Rome, il créait des paroisses nouvelles ; il suscitait ainsi, au centre même de la catholicité, un rajeunissement de vie catholique ; et c’était là comme un défi nouveau, comme un nouveau démenti, à l’assombrissant pronostic qui laissait craindre une dévastation prochaine de l’Eglise.

On observait, au surplus, que le pontificat de Pie X s’était donné pour tâche de développer la vie eucharistique, et qu’il avait réussi. Ce Pape s’ingéniait à multiplier Dieu dans les âmes, et Malachie, lui, paraissait menacer Dieu d’une éclipse. Les deux mots du prophète étaient de plus en plus insaisissables : dans les milieux les plus crédules aux prédictions suspectes, on aimait mieux encore, s’il fallait faire un choix, taxer le vieux moine d’erreur, que de conclure aveuglément à la faillite sociale de cette vie eucharistique, soucieusement cultivée par Pie X dans les profondeurs du peuple chrétien.

Mais tout d’un coup, au début du dernier mois d’août, le pronostic s’éclaira. On l’avait mal interprété. Des ravages, sans doute, allaient survenir, et des dépeuplemens : Malachie avait dit vrai ; mais ces milliers et ces milliers d’âmes dont le devin