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qui ne calculerait pas la portée politique de ses actes ; un Pontife qui serait amené à les atténuer ou à les retirer, faute d’en avoir envisagé d’avance les conséquences diplomatiques ; un Pontife, enfin, qui, dans son parti pris de négliger systématiquement les réalités temporelles, risquerait d’en abandonner la conduite à des influences de hasard. On ose à peine pressentir les graves souffrances auxquelles un tel règne exposerait l’Eglise. Proches parens, qu’ils s’en doutent ou non, de ces philosophes du XVIIIe siècle qui déclamaient contre la théocratie pontificale, les abstracteurs qui dessinent le rêve d’un « Pontificat purement religieux » voient s’insurger contre eux toute l’histoire de la Papauté, depuis Nicolas Ier jusqu’à Grégoire VII, depuis Sixte-Quint jusqu’à Léon XIII ; ils voient militer contre eux, aussi, les documens de Pie IX sur le libéralisme, de Pie X sur le laïcisme. Car ces encycliques, par cela même qu’elles visent une certaine laïcisation de la pensée et de la vie, crient halte aux utopistes qui, sous je ne sais quels dehors de respect pour le caractère religieux du Souverain Pontificat, finiraient par isoler la Papauté des affaires de ce monde : elles réduisent à néant cette conception, plus mesquine qu’altière, d’un « Pape purement religieux, » dont parfois, chose étrange, certaines âmes pieuses sont complaisamment les dupes.

Veut-il, en définitive. Papes plus religieux que ce Benoit XIV et ce Léon XIII, qui furent les deux grands Papes politiques de l’âge moderne ? Le premier, semblant légiférer pour le Ciel lui-même, fixa longuement les règles de la canonisation des saints ; le second développa la théologie de l’Esprit Saint, fit encyclique sur encyclique pour montrer dans le Rosaire une source de grâces, et s’occupa de semer à travers le monde, comme des foyers de vie spirituelle et de charité, les groupemens du Tiers-Ordre de saint François. Ce sont là, je pense, des besognes religieuses ; le souvenir en demeure vivant, et singulièrement précieux pour la piété catholique ; et c’en est assez pour attester que le contraste que d’aucuns prétendent établir entre la notion de Pape religieux et la notion de Pape politique n’est qu’un jeu de mots subtil, et quelquefois perfide.

Pape politique et Pape religieux, Benoit XV sera l’un et l’autre : son passé nous en est garant. Depuis 1878, date de son entrée à l’Académie des Nobles, jusqu’en 1907 où il s’effaça du