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de Florence ou de François de Victoria, qui, sans oser prétendre qu’on put à jamais laisser se rouiller les épées, fixaient les conditions requises pour qu’elles sortissent légitimement du fourreau [1].

Un élan continu, depuis cinquante ans, porte l’Eglise à se fortifier et tout ensemble à s’épanouir, en ressaisissant les traditions du moyen âge, traditions philosophiques, traditions de législation sociale ; c’est dans cet héritage qu’elle a pris l’habitude de fouiller pour répondre à certains besoins que le XVIIIe siècle surexcita sans pouvoir les apaiser. A mesure que le doute des pensées humaines, à mesure que les leçons de l’expérience positive, projettent une ombre décourageante sur tous les songes du XVIIIe siècle, l’Eglise, remontant plus haut et plus loin, fait l’inventaire de ses propres richesses intellectuelles et les étale devant l’humanité.

Le rationalisme du XVIIIe siècle, après avoir exalté la raison humaine jusqu’à la griserie, fut impuissant à la défendre contre les assauts qu’elle se livrait à elle-même et contre les incertitudes qu’elle éprouvait sur sa propre valeur : l’Eglise, avec un esprit d’équité qui, chez toute autre puissance, eût pu passer pour une sorte de coquetterie, arbora le thomisme pour restaurer les titres de la raison et la réintégrer dans ses droits, en même temps qu’elle en maintenait les limites : c’est l’exacte portée que prendra, dans l’histoire des systèmes philosophiques, la condamnation du modernisme.

La philanthropie du XVIIIe siècle, après avoir substitué à l’esprit de charité chrétienne les impulsions de je ne sais quelle sensiblerie, après avoir agi et parlé comme si l’on eût attendu jusqu’à elle pour découvrir l’ « amour des hommes, » fut impuissante à prévenir la plus grande explosion de haine qu’ait connue l’humanité, la Terreur ; l’Eglise, demeurée fidèle aux sept œuvres de charité que prédicateurs et sculpteurs du moyen âge proposaient à la pratique des chrétiens, rappela que pour aimer les hommes et les servir, l’élan du cœur a besoin d’être soutenu par un souffle de grâce, souffle consciemment invoqué ou inconsciemment subi, — par un souffle qui vient d’en haut. La raison qui présumait de ses lumières, le cœur

  1. Voir Vanderpol, Le droit de guerre d’après les théologiens et les canonistes du moyen âge (Paris, Tralin, 1911) et La guerre devant le christianisme, ouvrage suivi d’une traduction du De jure belli de François de Victoria (Paris, Tralin, 1912.)