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de croire qu’une chrétienté fatiguée, épuisée, écouterait avec une curiosité reconnaissante les pacifiantes doctrines des vieux théologiens sur les rapports entre nations ?

Déjà, sous le Pontificat de Pie X, plusieurs initiatives catholiques s’occupèrent d’exhumer ces textes ; et, par une coïncidence étrange, c’est à Louvain, la cité victime de la guerre, que se tenaient depuis quelques années certaines réunions importantes, consacrées à l’étude historique du droit international chrétien. Voici même une autre coïncidence, non moins émouvante : à Liège, dans la première quinzaine du mois d’août, étaient convoqués un certain nombre de prêtres des diverses nations, pour qu’ils créassent un mouvement, dans leurs pays respectifs, en faveur de la résurrection de cet ancien droit. Il y eut à Liège, hélas ! en cette quinzaine d’août, un rendez-vous d’un autre genre, entre l’artillerie des forts belges et celle de l’invasion allemande. Mais ces ironiques catastrophes ne peuvent étouffer les désirs des âmes, ni périmer l’antique enseignement de l’Église.

L’Europe d’hier souffrait comme d’un malaise de certaines violations flagrantes du droit, et ce malaise l’exposait à des crises fatales. Si dans l’Europe de demain, telle que l’entrevoient nos viriles espérances, ces violations sont réparées, et si la force armée, libératrice de l’Alsace, libératrice de la Pologne, installe un équilibre nouveau fondé sur plus de justice, le terrain paraîtra favorable à l’épanouissement d’un droit international chrétien, qui s’ajouterait à la volonté des peuples pour consolider une paix si chèrement achetée.

D’aucuns auguraient qu’à Pie X succéderait un Pontife de transition : ils signifiaient par là quelque fugitif octogénaire qui mettrait à l’ancre le vaisseau de l’Eglise, et puis attendrait la mort. Leurs calculs ont failli. Ils vont connaître un pontificat de transition, — mais dans un autre sens que celui où ils prenaient ce mot, un pontificat de transition entre deux Europes, de transition entre deux époques. Et l’on a vu, parfois, les Papes postés à de telles heures d’histoire orienter l’humanité.


GEORGES GOYAU.