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Ne plus penser, ne plus savoir, jusqu’au moment
Où, terrible et soudain, l’Ange des Destinées,
De ses ailes de flamme arrêtant nos journées.
Et dressant son épée au fond du firmament.

Criera : « Peuples rivaux, voici le Jugement !
O quel silence alors des âmes étonnées,
Et de quel désespoir les races condamnées
Sentiront sur leur front peser le châtiment !

Ange qui porterez le funèbre message,
Sans oser de mes yeux fixer votre visage,
J’adore avec effroi le céleste dessein.

Heureux là-bas, heureux ceux qui luttent et meurent
Pour tout ce qu’il y a de grand, de beau, de saint !
Ayez pitié, mon Dieu, de tous ceux qui demeurent !



La bataille s’est tue, et le sol irrité
A bu le rouge sang comme l’eau des fontaines ;
Le soir tombe ; on entend un bruit d’ailes lointaines
Dans la fraîcheur immense et la sérénité.

Les servantes du ciel, Justice et Liberté,
Sous leurs manteaux flottans très pures et hautaines,
D’un grand vol cadencé descendent vers les plaines,
Une palme à la main et le glaive au côté.

Elles planent longtemps, blanches et solennelles,
Du geste et du regard, bénissant leurs fidèles
Dont le sang a coulé pour un sublime espoir ;

Et tous les jeunes morts qu’ont effleurés leurs voiles
Dorment en souriant à l’éternel revoir
De leurs yeux grands ouverts sous les milliers d’étoiles.