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franche allure. Une fausse gravité, — c’est une gravité inutile, — ne date pas de loin, chez nous. Nos contemporains engoncés, que veulent-ils ? Prouver ! répond M. Gide, mais, non : ce n’est pas là l’erreur principale. Non, si prouver, avec de jolis argumens et avec des phrases qui aient une puissance dialectique et un charme insinuant, si prouver même est un plaisir : et M. Gide le sait bien. L’erreur consiste à négliger, dans la notion de la littérature, l’idée du plaisir. Qu’elle soit un plaisir d’abord et, s’il lui chante ainsi, plaisir de persuasion, plaisir d’apostolat : plaisir. Et ni Montaigne ne s’y est trompé, ni La Bruyère, ni Voltaire ; et ni Pascal.

La causerie qu’ont à Rome Lafcadio, le sage fol, et Julius tout empêtré m’enchante. Mais j’en abuse, si j’ai l’air de la présenter comme une digression. Elle est dans le roman. Le projet littéraire de Julius, l’intention qu’il a de peindre un jeune criminel, ce jeune criminel tout pareil à Lafcadio, il l’a, sans le savoir, attrapée de Lafcadio. Quand il se confie à Lafcadio, naïvement, c’est un effet dramatique, et c’est une péripétie de leur histoire. M. Gide s’était promis de suivre sans relâche sa fiction romanesque ; et il eût manqué à son esthétique en soumettant à une thèse le roman. Le roman court ; et d’incidens en incidens, il galope. Au collège, Lafcadio connut un certain Protos, qu’on surnommait ainsi, sachant le grec, pour une place de premier qu’il obtint. Protos, une canaille ingénieuse, organise une escroquerie : on a emprisonné le Pape, assure-t-il aux bonnes âmes, dans le Château Saint-Ange ; ce n’est pas le pape élu au conclave, c’est un faux pape qui, sur le trône de Saint-Pierre, l’a remplacé ; donc, nous délivrerons le Pape et il faut, pour cela, de l’argent. L’un des beaux-frères de Julius, Amédée Fleurissoire, tombe dans le panneau, quitte Pau, sa ville natale, et quitte son épouse et quitte le tran-tran de ses habitudes, pour aller vite à Rome et, dévoué, collaborer à la délivrance du Pape. Comment il arrive là-bas, comment il y rencontre Julius, comment il y rencontre, sous les espèces très honorables d’un prêtre camouflé, l’infâme Protos, comment on le charge d’une mission qui l’oblige à prendre le train de Naples, comment il rencontre enfin, dans le wagon, Lafcadio qu’il ne connaît pas et qui, par jeu gratuit, le précipite sur la voie, c’est ce qu’on apprend avec émoi quand on lit les Caves du Vatican. Je ne sais pas si les auteurs de romans feuilletons, de romans policiers inventent mieux, plus hardiment, les manigances d’une intrigue. Mais ne confondons pas les genres : c’est ici tout autre chose qu’un de ces romans, certes. L’auteur a imaginé d’écrire à l’inverse de Julius. Il a écrit les Caves du Vatican, de même que plusieurs