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Ainsi en juge-t-on couramment, et non sans raison. Le savant et l’homme, chez l’Allemand, ne sont que trop souvent étrangers l’un à l’autre. Cette explication, toutefois, est insuffisante. Ce n’est pas seulement par suite d’une explosion de sa nature, demeurée grossière et violente, que l’Allemand, à la guerre, est inhumain ; c’est par ordre. La brutalité est ici calculée et systématisée ; c’est la vérification de ce mot de La Harpe : « Il y a une barbarie savante. » Lorsque l’Empereur allemand harangua, en 1900, ses soldats partant pour la Chine, il leur recommanda de ne rien laisser subsister derrière eux, et de se comporter comme des Huns.

Si donc les Allemands, dans la manière dont ils ont préparé et provoqué et dont ils conduisent cette guerre, violent, sans scrupule aucun, les lois du monde civilisé, ce n’est pas malgré leur culture supérieure, c’est en vertu de cette culture même. Ils sont barbares parce qu’ils sont supérieurement civilisés. Comment une telle réunion d’élémens contradictoires, une telle synthèse est-elle possible ?


Dans les fameux Discours à la Nation allemande que Fichte prononça à l’Université de Berlin pendant l’hiver de 1807-1808, le philosophe se donne le thème suivant : relever la nation allemande, en l’amenant à prendre conscience d’elle-même, c’est-à-dire de sa pure essence germanique (Deutschheit), afin de réaliser, quand il sera possible, cette essence au dehors, et de la faire régner sur le monde. L’idée générale qui doit guider l’Allemagne dans l’accomplissement de cette double tâche est la suivante : l’Allemand est à l’étranger comme le bien est au mal.

L’appel de Fichte fut entendu. Pendant le siècle qui suivit, l’Allemagne, d’une manière de plus en plus précise et pratique, d’une part, constitua la théorie du germanisme, ou Deutschtum, d’autre part prépara la domination du germanisme dans le monde.

Cette notion du germanisme fournit, si je ne me trompe, le principe de la déduction que je voudrais tenter, je veux dire l’explication de la solidarité inattendue que les Allemands établissent entre la culture et la barbarie.


Il serait intéressant d’approfondir cette notion et d’en suivre le développement.