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Et d’abord, comment un peuple peut-il en venir à revendiquer pour ses idées, pour sa vertu, pour ses œuvres, non seulement le droit d’exister et d’être respectées par les autres peuples, mais le privilège d’être seules l’expression du vrai et du bien, tandis que tout ce qui émane des autres peuples ne représenterait que l’erreur et le mal ?

Le philosophe Fichte, après avoir constitué son système sous l’influence de Kant et des idées françaises, notamment sous l’influence de Rousseau, de qui il disait : « Paix à sa cendre, car il a agi ! », ne crut pouvoir mieux faire, pour réconforter l’âme allemande après Iéna, que de lui persuader qu’en elle-même et en elle seule se trouvait, avec le sens de l’idéal, la puissance de réaliser cet idéal dans le monde. Parti d’une certaine notion de l’absolu, il trouva, après Iéna, que cette notion même faisait précisément le fond du génie allemand.

Bientôt cette méthode mystique se confondit avec une méthode plus concrète, mieux adaptée à l’esprit positif des générations modernes. La science où se rejoignent toutes les connaissances et idées qui concernent la vie humaine est l’histoire. A cette science notre époque a voué un véritable culte. Or les Allemands ont tiré de l’histoire deux enseignemens de la plus haute importance. Le premier, c’est que l’histoire n’est pas seulement la suite des événemens qui marquent la vie de l’humanité : c’est le jugement de Dieu touchant les compétitions des peuples. Tout ce qui est veut être et durer, et lutte pour s’imposer. L’histoire nous dit quels sont les hommes et les choses que la Providence a élus. Le signe de cette élection, c’est le succès. Subsister, grandir, vaincre, dominer, c’est prouver qu’on est le confident de sa pensée, le dispensateur de sa puissance. Si quelque peuple apparaît comme désigné par l’histoire pour dominer les autres, c’est que ce peuple est le lieutenant de Dieu sur la terre, Dieu même, visible et tangible pour ses créatures.

Le second enseignement que l’érudition allemande a tiré de l’étude de l’histoire, c’est que l’existence actuelle d’un peuple chargé de représenter Dieu n’est pas un mythe, qu’un tel peuple existe, et que le peuple allemand est ce peuple. Depuis la victoire remportée sur Varus par Hermann (Arminius), dans la forêt de Teutoburg en l’an IX après Jésus-Christ, la volonté de Dieu est évidente. Tout le moyen âge en est la démonstration,