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croient qu’entre les nations comme entre les individus la politesse peut trouver place, et que ce serait un progrès pour l’humanité d’admettre que la justice et l’équité peuvent régler les relations internationales. Mais l’Allemand, à l’égard des autres nations, n’a pas à tenir compte de la justice ; il n’a que mépris pour cette sensiblerie féminine, qui caractérise particulièrement les races latines. Le sentiment, le souci de la justice et de l’humanité est une faiblesse, et l’Allemagne est et doit être la force. Wo Preussens Macht in Frage kommt, kenne ich kein Gesetz, disait Bismarck : « Là où la puissance de la Prusse est en question, je ne connais pas de loi. »

L’Allemand ne demande pas qu’on l’aime. Il préfère qu’on le haïsse, pourvu qu’on le craigne. Oderint, dum metuant. Il ne lui déplaît pas d’être entouré d’ennemis, il voit avec satisfaction qu’au sein même de l’Empire, certaines provinces annexées ne cessent de protester contre la violence qui leur a été faite. Le moi ne se pose qu’en s’opposant. L’Allemand a besoin d’ennemis pour se maintenir dans cet état de tension et de lutte qui est la condition de la vigueur. Il applique volontiers à lui-même ce que le Seigneur Dieu dit de l’homme en général dans le Prologue du Faust de Gœthe : « L’activité de l’homme n’a que trop de propension à se relâcher ; livré à lui-même, l’homme souhaite le repos. C’est pourquoi je lui donne pour compagnon un diable, qui l’excite et l’empêche de s’endormir. » Dans les voisins qu’elle menace, dans les sujets qu’elle opprime, l’Allemagne a la satisfaction de rencontrer ces diables providentiels dont la méchanceté stimulera son activité et sa vertu.

Non que l’Allemagne n’admette, à l’égard des autres nations, d’autre régime que celui de l’hostilité. Ce qu’elle vise, c’est la domination, seul rôle qui convienne au peuple de Dieu. Or, pour y parvenir, deux moyens s’offrent à elle. Le premier est évidemment l’intimidation, laquelle ne doit jamais se relâcher. Les faibles sont vite insolens quand on oublie de leur rappeler leur faiblesse. Il faut que les autres nations se sentent constamment menacées des pires catastrophes, si elles résistent à l’Allemagne. Mais, étant bien entendu que l’Allemagne est la plus forte, qu’elle ne cédera rien de ce qu’elle détient, fût-ce injustement, les bons procédés, les offres de services, les marchés avantageux, non seulement pour elle-même, mais encore, à l’occasion, pour l’autre partie, peuvent être des voies plus