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de ses auteurs ne m’est apparu plus grand qu’aujourd’hui.

L’après-midi nous arrivent des Anglais, blessés près de Soissons. Chez tous, quel courage, et quel entrain ! Quelle gaîté même, chez plusieurs ! « Je me suis battu jusqu’à tel jour, où je fus blessé. — Et depuis ? — Depuis ? j’ai voyagé. » Un jeune soldat, qui a la cuisse traversée d’un éclat d’obus, se plaint d’être trop sale ; il montre en riant sa barbe et ses ongles. Et dire que sa blessure l’exclut du grand bain ! On le lave cependant avant de le coucher.

Un officier de six pieds de haut, ce qui ne l’empêche pas d’être dans l’infanterie, a le front ceint d’un bandeau plutôt rouge que blanc. Il me montre à sa casquette le trou fait par la balle : « Narrow escape, lui dis-je. Vous l’avez échappé belle. » Sa chance fut plus grande encore, deux autres balles ont, sans l’atteindre, percé au-dessus du pied sa chaussette et, au milieu du bras, sa tunique ! Il a confiance dans l’action engagée ; il croit que plus de cent mille Français tournent les deux corps ennemis contre lesquels se battent les Anglais et qui sont fortement postés au nord de Soissons. Je lui montre avec émotion deux blessés en piteux état, qu’on descend de l’auto, et qu’on apporte sur des civières : « Ce ne sont pas les pires, me dit-il, tant s’en faut ! Il y en avait de tels, sur le champ de bataille, qu’on n’a pas pu les enlever. » — « Espérons qu’on les soignera sur place. Dans les cinq jours de bataille que vous avez vus, n’y a-t-il pas eu d’armistice pour enlever les blessés, enterrer les morts ? — Non, pas de ça ! On ne peut se fier aux Allemands. Et puis, ils sont dans une boite, ne les lâchons pas. A eux d’en sortir s’ils peuvent. » L’animosité des Anglais contre l’ennemi commun est plus profonde encore que la nôtre ; de même aussi, celle de l’ennemi contre eux.

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17 septembre.

En faisant ma tournée, ce matin, je retrouve mes blessés d’hier en assez bon état, reposés, contens. Ils me racontent l’accident et aussi les combats de la semaine dernière, la poursuite des Allemands. Je laisse la parole à un réserviste alpin, des environs d’Aix-en-Provence :

« Jeudi et vendredi, nous avons marché tout le jour sans un