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(et même, au fond, d’une ferme de Xénophon,) qu’aujourd’hui elle ne se ressemble à elle-même. Nous essaierons de le dire. Nous avons connu un temps où, quand une bonne femme disait un mot, c’était sa race même, son être, son peuple, qui parlait, qui sortait... Une paroisse ordinaire de ce temps-là était infiniment plus près d’une paroisse du quinzième siècle, ou du quatrième siècle, mettons du cinquième ou du huitième, que d’une paroisse actuelle. » Espérons qu’ici Péguy exagère, et, comme ces vieux sermonnaires qu’il rappelle parfois, se hâte un peu trop d’annoncer que tout est perdu. Il ne le croyait pas. Il a écrit des pages d’une foi robuste et d’une poétique éloquence sur cette admirable race française et sur le pacte qu’elle a conclu avec l’espérance. Il avait prévu ce que nous avons sous les yeux et qu’un seul mot exprime : le miracle français.

Ces mœurs de la vieille France, dont Péguy parle avec tant d’émotion et de respect, ce qui les constitue avant tout, c’est la vie de famille, par le travail, pour les enfans. Dans Le porche du mystère de la deuxième vertu, — comme ces Primitifs qui, au milieu d’un tableau de sainteté, introduisent un épisode emprunté aux occupations journalières, — Péguy s’interrompt pour nous montrer un paysan au travail. C’est un bûcheron, l’hiver, dans la forêt. La bise souffle et lui transperce les os. Il est transi, il claque des dents. Tout d’un coup il pense à sa femme qui est restée à la maison, à sa femme qui est si bonne ménagère, dont il est l’homme devant Dieu : il pense à ses enfans qui sont bien tranquilles à la maison, qui jouent et qui s’amusent au coin du feu. Cette vision de la maison calme et chaude, apparue soudain dans le froid qui le glace et dans l’âpreté de son labeur, lui rend le courage et la joie. Qu’est-ce que cela nous fait d’avoir froid, pourvu que les chers êtres restés à la maison aient chaud ? Ce travail, toujours le même, qui coûte beaucoup et rend peu, le paysan le fait avec lenteur et conscience, une lenteur auguste, une conscience qui est une forme de la piété. « J’ai vu, toute mon enfance, rempailler des chaises exactement du même esprit et du même cœur et de la même main que ce même peuple avait taillé ses cathédrales. » Et pourquoi non ? Au regard de Dieu, toutes les occupations se valent, quand elles se déroulent dans le cadre d’une vie pieuse : ce sont des façons de prier. Ici il faut citer une page qui est ce que Péguy a écrit de plus touchant, une des pages les plus imprégnées de christianisme qu’il y ait dans la littérature contemporaine. C’est dans le Mystère de la Charité de Jeanne d’Arc. Hauviette y représente la foi sereine, la confiance ingénue en Dieu, l’abandon naïf et