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Ce qui ressort de là, c’est que l’univers, le monde entier n’intéresse les simples que par les faits humains. Jamais de descriptions, jamais de pittoresque : le paysage existe à peine. Les physionomies ne comptent pas. Le costume, les armes, quelques traits d’exotisme, une pagode si l’on est en Chine, un palmier pour l’Orient, constituent tout le décor ; le peuple, comme l’enfance, ne s’intéresse guère au monde extérieur. En revanche, le monde animal, l’histoire naturelle excitent au pi us haut point sa curiosité ; ce sont toujours ces mêmes âmes pour lesquelles l’arche de Noé est le jouet inépuisable en éruditions et en surprises. Un Adam au milieu de la ménagerie de l’Eden, voilà ce que nous avons tous été ; et c’est pourquoi nous conservons tant de reconnaissance aux images qui nous ont donné nos premières notions du vieux livre de l’univers.

Ainsi l’histoire et le monde apparaissent déjà réduits aux élémens d’une fable. Cela explique que les fables tiennent une grande place dans l’imagerie d’Epinal. Charmantes images ! Elles instruisent, mais elles amusent. Elles savent que les hommes ont, comme les enfans, besoin d’être divertis, et qu’ils retiennent mieux ce qui a forme de conte. L’image d’Épinal est une conteuse intarissable ; jamais elle n’a fini ses récits. Elle en a de gais, de touchans, de facétieux ou de comiques ; elle en a de fantaisistes et elle en a de vrais. Elle a de la mémoire, de la bonne humeur, de l’expérience et du courage. C’est la vieille mère-grand, la Mère l’Oie à laquelle nous devons tous une part de notre éducation. Que de matières diverses se coudoient dans ces contes ! C’est la vie de Pie IX et Geneviève de Brabant ; la vie de saint Vincent de Paul et Mlle Zéphirine ; le Grand saint Nicolas voisine avec Cartouche, et voici Jean qui pleure, Calino, Monsieur Dumollet, Ali-Baba, Robinson, Guillaume Tell, Don Quichotte, la Biche au Bois, la Légende dorée, les Mille et une nuits, les vieilles chansons. Cadet Roussel, les contes des frères Grimm, l’histoire contemporaine, les trois ou quatre grands romans qui surnagent de la littérature universelle. Il me semble qu’une imagination nourrie de ces images n’était pas entièrement démeublée ; elle n’était pas non plus un cerveau encombré : c’était, en quelques traits, l’abrégé portatif de la sagesse humaine.

Car toutes ces histoires ont un trait commun, l’intention morale. L’image d’Epinal connaît trop son public pour lui faire des contes qui ne soient que pour conter. Elle a toujours un