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sens pratique et un but édifiant. Toujours on y voit représenté, sous la fiction ou sous la biographie, sous le roman ou la légende, le mystère de la destinée. Et la leçon qu’elle nous apporte est que les caprices du hasard donnent des aspects divers à la plupart des existences humaines, mais que chacun de nous, à un certain moment, tient son sort dans ses mains. L’un fait son salut, si je puis dire, parce qu’il a eu l’énergie de se corriger d’un défaut ; l’autre, grâce à un petit chat qu’il a retiré de l’eau et qui devient son bon génie : ainsi le premier a le mérite de sa vertu, et l’autre la récompense d’un bon mouvement. Je ne me dissimule pas que la morale d’Epinal est un peu terre à terre : elle conseille la vertu comme un placement profitable, comme la meilleure voie pour arriver à une situation confortable et à la considération bourgeoise. Je reconnais que cet idéal n’est pas très distingué, mais une morale plus délicate aurait-elle autant de chances de se faire comprendre ? Enseigner que chacun est son maître et qu’il dépend de soi de faire son chemin, que l’occasion ne manque jamais à celui qui en est digne, que les seuls obstacles qui nous séparent du succès sont nos travers, notre impatience ou notre lâcheté, tout cela, en effet, n’est pas bien raffiné : c’est une philosophie qui manque un peu d’au-delà, mais elle suffit après tout pour faire d’honnêtes gens. Et puis, cette sagesse pratique a une saveur de terroir. Sans doute je n’ai garde d’y réduire tout le génie de la race ; je n’oublie pas Jeanne d’Arc et les voix du Bois Chenu ; mais que de carrières lorraines s’expliquent par cette ténacité, par cet esprit de sang-froid, de calcul et d’aventure ! Je songe, puisque nous parlons d’images, à l’obstination de ces petits Lorrains, qui voulurent aller à Rome, et qui s’appelaient Jacques Callot et Claude Gellée. Ce ne sont pas de mauvais exemples à mettre sous les yeux de la jeunesse.

Il ne serait pas difficile de trouver dans la biographie de nos plus notoires contemporains d’excellens sujets pour images d’Epinal. Certes, mais aujourd’hui, nous disposons de tant de moyens d’information ! L’image d’Epinal n’est qu’une voix noyée parmi cent autres, perdue dans le tumulte de notre moderne publicité. Vingt concurrences plus puissantes qu’elle la dépassent et la débordent : les journaux illustrés, de semaine en semaine, changent aux vitrines des papetiers l’affiche du crime hebdomadaire, du suicide, du fait divers qui sera pendant huit