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préparatoire de vingt années (1851-1871), les Moltke, les Roon, les Manteuffel, tous les généraux de Guillaume Ier auraient bien pu gagner les batailles les plus glorieuses et les plus décisives ; jamais l’Europe n’eût laissé faire ce qui fut le lendemain de Sadowa et de Sedan. Pendant que nos armées prouvent à la frontière que la France de 1914 est différente de la France de 1870, relisons quelques pages du grand Chancelier pour voir qu’en Allemagne, les choses n’ont pas moins changé, mais de tout autre sorte.


Vers le milieu du XIXe siècle, il y avait à Francfort-sur-le-Mein un congrès permanent de diplomates, qui s’appelait la Diète germanique. Là, une vingtaine de sous-Metternich allemands, surveillée par une demi-douzaine de sous-Talleyrand européens, s’efforçait de « maintenir la sûreté intérieure et extérieure de l’Allemagne, l’indépendance et l’inviolabilité des États confédérés. » Les traditions de la diplomatie viennoise s’y conservaient, comme la plupart des traditions humaines se conservent, fort mal : le président, qui était Autrichien, imitait de son mieux M. de Schwarzemberg qui, ayant succédé à Metternich, l’imitait de son mieux ; les membres de la Diète avaient pris, chacun, l’un des traits que la caricature a toujours prêtés au diplomate, l’un sa nonchalance aristocratique, l’autre son ignorance plus aristocratique encore, le troisième sa naïveté protocolaire, le quatrième son silence pensif, et tous sa frivolité,. — si du moins l’on en croit un nouveau venu qui, en mai 1851, entrait en ce cénacle : Otto-Édouard-Léopold de Bismarck.

Bismarck avait trente-six ans. Se proposant de devenir un homme d’État, il voulait apprendre le métier de diplomate. Il venait à la source, plein d’illusions sur les maîtres et dispensateurs de sagesse qu’il espérait trouver en ces diplomates de Francfort. Il avait été élevé dans l’admiration, dans le culte, — dira-t-il plus tard, — de la politique autrichienne... Dès le premier jour, il constata qu’il ne restait plus de cette politique que les manies et les grands mots, l’art de ne rien dire en beaucoup de paroles et de ne rien faire en beaucoup d’années ; tous « ces augustes polichinelles ne savaient pas plus que Colin Tampon