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ce qu’ils avaient à faire de l’Allemagne. » A peine arrivé, Bismarck écrivait à sa femme :


On se tourmente ici de puérilités pures. Tous ces diplomates, avec leur pompeux commerce de bric-à-brac, me paraissent plus ridicules que tel député de la seconde Chambre se drapant dans sa dignité. A moins de complications extérieures, je sais ce que nous ferons en une, deux ou cinq années, et je m’engagerais à le faire en vingt-quatre heures, si les autres voulaient être sincères et sensés un seul jour. Qu’on m’envoie le savetier ou le maître d’école et, s’ils sont lavés et peignés, j’en ferai des diplomates. Je fais de grands progrès dans l’art de beaucoup parler pour ne rien dire. Personne, pas même le plus méchant des démocrates, ne peut se faire une idée de ce qu’il y a de nullité et de charlatanisme dans la diplomatie.


Bismarck ne changea jamais de langage à l’égard de la diplomatie et des diplomates. Mais dans tous les dires de Bismarck, il faut faire la part de l’homme, de l’instant et de l’humeur. Apprenant un soir, durant la campagne de France (16 novembre 1870), que les « militaires » avaient découvert dans une cave de Bougival « un vin de premier ordre » et ne lui en avaient pas envoyé, il entrait en fureur : « Quand je pense, disait-il au fidèle Busch, que je me suis donné tant de mal pour les militaires à la Diète !... Mais n’ayez pas peur : je commence à me transformer ; quand je suis parti pour cette campagne de France, j’étais un militaire ardent ; quand je reviendrai, je serai un parlementaire convaincu ; je saurai bien trouver un moyen de les repincer sur le budget de la guerre. »

A Francfort, il ne fallut pas deux mois pour que Bismarck commençât de se transformer ; avant un an, il était devenu le plus convaincu des diplomates ; il continua de dire « que, n’eût-il écouté que ses goûts personnels, il eût préféré cent fois la politique en caleçon de bain à ce régime de truffes, de dépêches et de Champagne qu’est la diplomatie ; » mais il resta, il voulut rester huit années à Francfort (1851-1859), à cet âge de la quarantaine où, pour les ambitieux de son espèce, les années comptent double. Il savait que « Francfort ne pouvait avoir que la valeur d’un poste d’observation, » et que « vouloir obtenir ici une influence sérieuse sur la politique de la Confédération était une tâche quasi impossible. » Mais il croyait que le rôle du diplomate est d’observer, de guetter et de créer les circonstances favorables où l’opportune application de la force,