Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 23.djvu/61

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais quelle que fût sa confiance dans le fer et le feu, dans la loterie et dans les opérations sanglantes, il ne voulait « remplacer sur son drapeau le mot Prusse par le mot Allemagne qu’après avoir établi entre nos voisins et nous un lien plus efficace et plus fort, » et le Prachthericht énumère tous les fils dont ce lien devait être tissé.

En premier lieu, la Prusse devait s’efforcer de gagner partout des « relations personnelles, » des sympathies, des amitiés, se faire bien venir de tous, plaire, sourire, être accueillante et serviable : « La première force de l’Autriche en Allemagne, disait Bismarck, c’est qu’elle défend et récompense ses amis avec le même esprit de suite qu’elle déploie pour nuire à ceux qui lui font de l’opposition. »

La deuxième force dont dispose l’Autriche et que la Prusse doit s’acquérir, c’est l’attachement d’une religion, tout au moins le drapeau d’un idéal : « Vienne dispose, dans tous les Etats allemands, des chefs du parti catholique. La Prusse doit donc prendre en mains la cause de toutes les autorités protestantes contre cet esprit belliqueux, intraitable, qui anime une partie du clergé catholique dans les pays gouvernés par des princes protestans ; » elle doit encourager et aider tous les gouvernemens protestans « à repousser ces prétentions même justes en apparence, et à défendre résolument les moindres de leurs droits. » La Prusse doit se présenter comme la servante d’une idée religieuse, comme l’adversaire surtout de la domination catholique, et puisqu’en tout pays les gens de science sont volontiers hostiles aux gens de l’Eglise romaine, Bismarck, dès 1852, avait entrepris de dresser contre l’Internationale de l’Eglise cette Internationale de la Science, qui, dans l’Allemagne d’abord, puis dans toute l’Europe et dans le monde entier, travailla si longtemps et si bien pour le prestige du roi de Prusse, de ses savans et de ses Universités... Hier encore, à la veille de la déclaration de guerre, les savans d’Angleterre, groupés autour de sir William Ramsay, ne voulaient voir dans l’Allemagne de Guillaume II que l’auguste et sacro-sainte mater scientiæ. Il a fallu les premiers exploits de la soldatesque de Guillaume II pour ramener cette gent de laboratoire et de bibliothèque à une vision plus juste de la réalité prussienne. Dès 1852, Bismarck avait lié des relations personnelles avec toutes les sociétés scientifiques, géographiques,