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de l’Allemagne que la Prusse n’avait pas su gagner par les assemblées unitaires de 1848-1850. » L’Autriche pouvait compter sur l’appui du Tsar et elle avait noué avec la France de Napoléon III des relations qui pouvaient se muer en une alliance des trois empires contre la Prusse et l’Angleterre :


Dans un pareil système, il n’y a point de place pour la Prusse, tant qu’elle ne renoncera pas à sa qualité de puissance européenne. Un grand Etat, qui veut asseoir sa politique intérieure et extérieure sur la base de ses propres forces, ne doit prêter la main à une centralisation plus grande des élémens fédéraux que s’il est capable d’en assumer la direction. La Prusse ne peut pas renoncer à occuper le même rang que l’Autriche ; elle ne peut pas se résigner à jouer d’une manière sincère et définitive le rôle de seconde puissance de l’Allemagne.


Quand on ne veut pas renoncer à sa qualité de puissance européenne, quand on veut asseoir sa politique intérieure et extérieure sur la base de ses propres forces, il est des forces que l’on doit posséder, et d’abord la force militaire. Dès 1856, Bismarck tirait, de son expérience de Francfort, la conviction que la Prusse ne pourrait avoir de place en Allemagne et en Europe que celle que lui donneraient ses armes et la crainte de ses armes :


Dès que la situation extérieure se modifie de manière à menacer la paix européenne, la Prusse gagne en importance, grâce à ses forces et ressources militaires et grâce aux espoirs que l’opinion allemande fonde sur elle, tandis qu’en temps de paix, ces mêmes élémens ne réussissent qu’à tenir en éveil la méfiance et l’antipathie des gouvernemens contre nous.


Donc, la guerre est le grand chemin pour la Prusse : « renoncer à l’héritage de Frédéric le Grand, » « se consacrer à la mission providentielle d’archi-chambellan de l’Empire, » Bismarck déclarait que, « plutôt que de conseiller cette politique à son roi, il demanderait que la question fût tranchée par l’épée, » et comme le délégué autrichien à la Diète lui répondait avec assez d’impertinence que « le roi de Prusse était un homme heureux qui, ayant gagné une fois le gros lot de 100 000 thalers, avait mis sa maison sur le pied d’un retour annuel de la même chance, » Bismarck se déclarait tout prêt à reprendre des billets à la loterie. Il était convaincu que les infirmités de l’Allemagne et de l’Europe ne pouvaient être guéries que « par le fer et le feu. »