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des dernières années, ni proclamer trop ouvertement devant leurs sujets que la prospérité matérielle de ceux-ci est sacrifiée aux caprices des dynasties. » Les princes doivent « se détacher de cette idée, trop familière à la plupart d’entre eux, qu’ils n’ont qu’à profiter de leur position pour vivre agréablement et se passer toutes leurs fantaisies. » Le roi de Prusse, surtout, n’a pas à faire connaître trop haut ses sentimens intimes à l’Allemagne démocratique ni à l’Europe libérale : « Il ne faut jamais dire : Fontaine, je ne boirai pas de ton eau ; du moins ne faut-il jamais laisser croire qu’on préférerait mourir de soif plutôt que de boire ; on peut se servir de tout comme épouvantait, » et l’on doit se servir de tout comme tremplin :


La position dirigeante qu’occupait la Prusse en Allemagne avant 1848 reposait non pas sur la faveur des États moyens ni de la Diète fédérale, mais sur le fait qu’elle prenait toujours les devans sur le terrain du développement politique, que tout ce qui était prussien servait de modèle aux autres Etats confédérés, qui se l’assimilaient dans la mesure de leurs forces. La brusque cessation de ce mouvement et la méfiance des gouvernemens allemands qui en est résultée ont eu pour conséquence inévitable une diminution sensible de l’influence de la Prusse.


Le rôle de la Prusse est de montrer la route « pour satisfaire aux besoins de l’époque actuelle et de développer la vie publique plus que ne peuvent faire d’autres Etats ; » la Prusse ne vivra, ne grandira que si l’Allemagne et l’Europe voient en elle une puissance libérale, une ouvrière de progrès et de justice démocratique, autant qu’une puissance militaire, ouvrière de défense et de conquête :


La Prusse est sûre que le roi resterait maître chez lui, quand même on retirerait du pays l’armée tout entière : aucun autre Etat continental n’en pourrait dire autant. Avant 1848, la Prusse a su, sous un gouvernement presque absolu, devenir et rester la tête, le centre intellectuel de l’Allemagne ; elle devrait toujours tenir ce rang. L’autorité royale repose sur des bases tellement solides qu’en faisant une part plus large à la représentation nationale, le gouvernement peut se créer des moyens très efficaces pour agir sur la situation de l’Allemagne. Les intérêts de la Prusse sont parfaitement conformes à ceux de la plupart des pays de la Confédération, mais non pas à ceux des gouvernemens confédérés : il n’y a rien de plus allemand que le développement des intérêts bien entendus de la Prusse.


La Prusse doit donc se faire l’alliée, la bienfaitrice, la servante,