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L’ALSACE EN 1814 ET EN 1914.

versemens qui vont transformer la face de l’Europe et du monde. Et il est un pays qui découvrait une perspective où, de quelque côté qu’il se portât, notre regard ne plongeait qu’avec admiration.

Entre les Vosges et le Rhin, des burgs féodaux aux forteresses de Vauban, il étageait ses forêts, ses vignes, ses moissons. Parmi les souvenirs du passé le plus lointain et ceux de deux siècles vécus dans la communauté française, il montrait des restes romains et païens, des églises romanes et gothiques, la splendide cathédrale, des maisons de la Renaissance, ses gracieuses architectures du XVIIIe siècle, les tombes de nos morts, un monument de la fidélité élevé hier aux flancs du Geisberg qui virent la victoire de Hoche en 1793 et la première défaite de 1870. Ici le choc des races et le croisement des cultures, sur ce sol fécond, tant de fois labouré par l’invasion, avaient formé à travers les âges la robuste individualité alsacienne qui avait pris conscience d’être, — mission à laquelle elle n’a point failli, même et surtout depuis quarante-quatre ans, — un rempart, un bastion, la défense avancée d’une civilisation. Ce pays avait ses hommes d’autrefois, ses militaires de toutes les époques, les héros des guerres de la Révolution, Kléber et la graine de Kléber, tous ces généraux, officiers et soldats qui ont peuplé et peuplent toujours notre armée ; il avait ses hommes d’aujourd’hui, bourgeois, paysans, plante forte et résistante qui a achevé de grandir dans la contrainte et l’oppression. Ainsi ce coin de terre enfermait pour nous l’horizon le plus beau ; il offrait aux yeux et à l’esprit le spectacle le plus attachant. Et si l’on s’efforçait lentement de la comprendre et de l’étudier, cette Alsace riche en profondeurs cachées, en émouvantes suggestions, comment ne pas sentir l’insuffisance de tout ce qu’on essaierait aujourd’hui pour l’embrasser ?

Embrasser l’Alsace ? J’ai vu cette image, un troupier français qui embrasse l’Alsacienne au large ruban noir, à peu près tout ce que beaucoup de nos compatriotes connaissaient de l’Alsace. J’ai goûté la joie de communier pleinement avec eux, dans cette heure historique, arrivant par des voies un peu différentes au même sentiment que le leur. L’Alsace du troupier français et de l’imagination populaire, la nôtre, c’est une seule Alsace. Et qui de nous n’envierait la chance du troupier français ?

« La magnifique Alsace, toujours pareille et toujours