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allemand de Fribourg, le P. Kœnig, écrit que les Alsaciens de son temps tiennent essentiellement « à ne pas être et à ne pas être appelés des Schwob, quia Alsatiæ hodie Suevones esse aut dici nolunt… » Depuis le P. Kœnig, en dépit de tout ce qu’on a tenté pour les y décider, — à s’en tenir aux temps récens, entre le bombardement de Strasbourg (exécuté par des compatriotes du P. Kœnig) et l’affaire de Saverne, — ils n’ont pas changé.

Ils ont peut-être plus changé à l’égard des Français que des Allemands. Jusqu’à ce même XVIIe siècle, à travers des contacts nombreux, des échanges divers, ils avaient tenu aussi à garder de ce côté et à marquer leur individualité. Les voilà rattachés politiquement à la puissante unité de la monarchie française. Celle-ci a l’intelligence et la sagesse de respecter leur langue, leurs privilèges, tout ce qui faisait du pays alsacien en France jusqu’à la Révolution quelque chose de si particulier, de les gouverner au moyen d’administrateurs éprouvés qui s’occupent de découvrir et de développer les richesses naturelles d’une terre épuisée par la guerre et l’invasion. Une France aimable, que l’on commence d’aimer, pénètre de plus en plus par l’esprit, les mœurs, les arts, durant le XVIIIe siècle qui a semé un peu partout en Alsace les chefs-d’œuvre les plus exquis. Puis vient la Révolution, avec sa continuation l’Empire, qui nulle part plus qu’en Alsace ne se présentent sous l’aspect d’un bloc uniforme et indissoluble. La France révolutionnaire et napoléonienne abolit les privilèges de l’Alsace, sauf celui de la langue ; elle les compense par l’unification territoriale du pays, par l’égalité et la gloire qui répondent si bien aux aspirations d’une race républicaine et militaire. La guerre, qui se décide à propos de l’Alsace et des princes étrangers possessionnés sur son sol, prolongée vingt-deux années pendant lesquelles l’Alsace verse son sang, donne ses hommes, tant de chefs célèbres, tant d’héroïques soldats, sur tous les champs de bataille, se termine en 1814 avec la résistance à l’envahisseur étranger. L’Alsace française est achevée.

Cette Alsace française de 1814 est l’aboutissement d’une très vieille histoire, de tout ce qui, depuis les temps de la Gaule et de Rome, l’avait tournée et fixée d’abord de ce côté, en la tournant déjà contre ce qui venait de l’Est, en masses barbares, sur l’autre rive du Rhin. Elle est l’aboutissement des échanges de civilisation et de culture qui continuèrent durant toute la