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éloquemment. Le premier résultat pour l’Alsace, après les procès militaires de Strasbourg et l’acquittement des héros de Saverne, après les débats du Reichstag et du Parlement alsacien, c’était le changement de son gouvernement qui avait paru si impuissant. En attendant le départ annoncé du statthalter, comte de Wedel, le ministère d’Alsace-Lorraine était complètement renouvelé. À l’Alsacien rallié, M. de Bulach, succédait le comte de Rœdern, qui venait de Potsdam à Strasbourg comme l’un des plus remarquables, disait-on, entre les fonctionnaires prussiens. On ne savait pas encore qui serait statthalter. Certains avaient l’impression, que les débuts administratifs de M. de Rœdern ne semblèrent pas d’abord démentir absolument, que ce régime prussien en Alsace-Lorraine pourrait n’être pas celui de l’aveugle répression. Deux mois plus tard, à Corfou, sous les lauriers roses de l’Achilléïon, l’Empereur, ayant près de lui son chancelier, M. de Bethmann-Hollweg, signait la nomination, comme statthalter de l’Alsace-Lorraine, — le cinquième depuis l’année 1879 où la fonction fut créée, — de M. de Dallwitz, autre fonctionnaire prussien. Celui-ci s’installait à Strasbourg. Le nouveau régime s’accentuait dans le sens des mesures sévères qui en laissaient prévoir de plus sévères encore. L’Empereur, de Corfou, se rendait en Alsace, puis en Lorraine. Le programme, modifié presque à la dernière heure, de son séjour annuel dans la Terre d’Empire, se réduisait cette fois à la participation à de grands exercices militaires. Dans les environs de Colmar, où ils avaient été préparés avec un soin tout particulier par le général von Deimling, commandant le 15e corps d’armée, principal responsable de l’affaire de Saverne, il s’agissait, paraît-il, de décider la construction et l’emplacement de nouvelles fortifications. Il avait été décidé que l’Empereur n’aurait aucun contact avec la population civile d’Alsace-Lorraine ; dans cette courte visite, il a vu seulement les maîtres de l’Alsace, les militaires allemands.

Les mesures de rigueur se succédaient : procès, condamnations, arrestations, interdictions de séjour pour des Français. On ne pouvait savoir où elles s’arrêteraient. Quinze jours avant la déclaration de guerre, un Alsacien, près de la table où je trace ces lignes, disait tout ce qu’il redoutait pour son pays. Il termina sur ces mots forts dans la bouche de l’homme ferme et prudent qui les prononçait : « Nous attendons depuis quarante-