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L’ALSACE EN 1814 ET EN 1914.

quatre ans ! » Il fallait baisser la tête. Nous pouvons la relever aujourd’hui ; nous devons espérer de la relever encore davantage. Quant aux « mesures » prises par les autorités militaires en Alsace, comme en Lorraine, il est trop tôt, devant l’histoire, pour les qualifier en ce moment.

Je revois, en février dernier, au Landtag d’Alsace-Lorraine, M. de Rœdern, qui faisait ses débuts de secrétaire d’État, nouveau venu à Strasbourg, où il arrivait avec la tâche un peu lourde, dans des circonstances difficiles, d’administrer la Terre d’Empire pour le compte d’une Allemagne prussianisée. C’était un administrateur prussien remarquable, m’avait-on dit, habile autant qu’un administrateur prussien peut l’être. Je le regardais, assis à son banc, à la première place à droite du bureau, ayant auprès de lui ses collègues, un Bavarois, un Rhénan, un Hessois, et, derrière, l’armée imposante de ses fonctionnaires. En face, la représentation élue de l’Alsace-Lorraine, des bourgeois, des prêtres, quelques compagnons socialistes. (Un député socialiste de Metz au Reichstag, qui est Alsacien, s’est engagé dans l’armée française.) Et je songeais à la distance, plus grande que le mince espace entre eux et lui, qui les séparait. Ce n’est plus le type militaire ; c’est le fonctionnaire prussien aristocratique, correct et sérieux, le type de l’homme du monde dans une hiérarchie, dans une société particulière. Droit, élégant et grave, il compulsait ses dossiers, prenait des notes, se croisait les bras en écoutant. On parlait sur l’agriculture et le phylloxéra. M. de Rœdern ne prit pas la parole, qu’il laissa au sous-secrétaire d’État, compétent, M. de Stein, le Bavarois, un homme immense, familier, qui discourait en mettant quelquefois les mains dans ses poches… Et je songeais à Lezay-Marnésia, cet administrateur français modèle de l’Alsace. Ce marquis Adrien de Lezay-Marnésia, c’est un homme du monde de chez nous, intelligent, cultivé et aimable. Il a fréquenté la société de Pauline de Beaumont. Napoléon, qui le trouvait beau, en fit un diplomate, puis un préfet français en Allemagne avant de l’envoyer à Strasbourg où il fut adoré. Il est mort le 9 octobre 1814, des suites d’un accident de voiture survenu tandis qu’il escortait, en Alsace, le duc de Berry. L’Alsace, qui l’a pleuré alors, l’entoure encore de ses souvenirs et de ses regrets.