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compagnon d’autrefois sur les chemins de Londres et de Bruxelles. Il se voua surtout à la tâche de faire rouvrir au prince les portes de la patrie. Il rencontrait au Temps, dont il était resté le chroniqueur scientifique, des puissans du jour, d’anciens alliés de l’époque lointaine de la coalition libérale. Sans doute l’aujourd’hui les séparait, mais sans amertume et sans rancune. Il sut les associer à la campagne de l’Institut en faveur de ce membre de trois de ses sections, et le prince rentrait en 1889 consacrer ses dernières années aux lettres et aux arts dans ce palais de Chantilly, déjà leur domaine, et qu’il ornait toujours avec la même sollicitude.

Quelques années s’écoulaient ; le Duc d’Aumale mourait. Le souvenir d’Henri d’Orléans, l’intérêt, l’espérance de la jeunesse, de la maturité d’Auguste Laugel, allait être le culte de sa vieillesse ! Les deuils se précipitaient. Après les princes s’égrenait leur groupe de si haute valeur, dont l’erreur fut de croire que la France entière pouvait former un cénacle délicat et choisi à qui la liberté suffirait, sans passions et sans appétits à satisfaire. Des amis étrangers, Reeves, Klaczko, La Rive, Lord Acton, Stanley, lord Lytton et tant d’autres, qui n’oubliaient ni la plaisance ni la cordialité de leurs rapports avec Auguste Laugel, disparaissaient un à un.

Puis une santé très chère vacillait pour lentement s’éteindre, et le bibliophile ne retrouvait plus à son foyer solitaire que ses livres aimés. Il relisait aussi et publiait sous le titre de Flammes et Cendres l’œuvre de ses heures émues : premiers et derniers chants du poète qu’ils nous révélaient. L’Alsace, dont ses vers semblaient refléter la douce lumière comme le charme de ses vallées et la noblesse de ses sommets, y était toujours présente : jamais elle ne quittait sa pensée, et, s’il ne lui fut pas permis de la revoir française, il crut entrevoir de son lit de mort l’aube à peine naissante du jour qui nous la rendrait.


BARANTE.