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Vers le mois de décembre, le gouvernement prussien leur distribua des châlits en bois qui permettaient d’isoler la paille du sol, et des toiles pour la réunir en paillasse.

Mais il laissa toujours en souffrance l’habillement et la chaussure. Cependant il avait saisi nos magasins militaires ; il lui était donc bien facile de satisfaire à toutes les exigences [1]...


Un prisonnier en Poméranie a également fourni de précieux renseignemens. Un mois après l’arrivée, voici ce qu’il vit :


... Au milieu du cloaque où nous étions, que l’on se figure une centaine de trous ayant environ 30 mètres de long sur 10 de large, avec 1 mètre de profondeur ; ces trous avaient une couverture faite de paille de marais tressée entre des branches de sapin fichées en terre de chaque côté et venant se joindre au milieu, en forme de toit, à environ 2 mètres 50 centimètres au-dessus du sol. Cette couverture était tellement mince et peu serrée que, pendant les nuits claires, on apercevait les étoiles à travers.

Dans ces grandes fosses creusées dans la vase et par des temps pluvieux, il était resté des flaques d’eau sur lesquelles on avait jeté un peu de paille, et il suffisait de poser le pied dessus pour que cette paille s’enfonçât sous les pas et que l’eau parût à sa place. Ces affreuses cahutes, véritables terriers humains où couvaient les fièvres, la variole et le typhus qui devaient nous décimer plus tard, n’avaient qu’une seule issue se fermant par une porte sans gonds faite de la même manière que la toiture en paille tressée, et à laquelle il fallait donner du pied pour la faire tenir lorsqu’à reculons on entrait dans le trou [2]...

... Vers le milieu du mois de novembre, la neige fit son apparition ; les faibles toitures qui nous abritaient laissaient passer cette neige qui filtrait, fine comme de la farine ; il faisait un froid terrible dans ces trous malsains ; la neige, en tombant sur nos couvertures, se formait en verglas ; et, dans l’obscurité qui régnait là-dedans, on n’entendait que grelotter et se plaindre.

Les tirailleurs algériens surtout, avec leur pantalon de toile, souffraient rudement de cette température mortelle ; parfois, dans la nuit, ils poussaient de sourds rugissemens mêlés au nom d’Allah et de Mahomet auxquels ils reprochaient d’avoir abandonné la France et ses enfans [3]...


Le 9 février 1871, le thermomètre descendit à 41° au-dessous de 0, et cette température ne varia pas pendant trois jours.


...Impossible de s’endormir avec un froid pareil, et il y en eut qui,

  1. Patorni (lieutenant L.), Neuf mois de captivité en Allemagne.
  2. Bruchon (Ph.), Neuf mois en captivité. Octobre 1870-juillet 1871, pp. 93, 94, 95.
  3. Id. ibid., op. cit., p. 105.