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Ces temps sont revenus. Aussi est-ce merveille de voir comme soudain les personnages de Corneille nous ont semblé aisément intelligibles et comme ils se sont rapprochés de nous ou, pour mieux dire, comme nous nous sentons près d’eux. Jusqu’ici nous cherchions dans l’histoire des modèles auxquels les comparer. Aujourd’hui nous n’avons qu’à regarder autour de nous.

Le Cid est-il venu d’Espagne ? Il faut qu’en passant les monts il ait changé de caractère, car il est, celui-là, tout français. Ce qu’il personnifie, c’est la bravoure française, telle que nous la retrouvons, semblable à elle-même, à travers toute notre histoire, et telle que nous l’avons vue, aux premiers bruits de guerre, jaillir une fois de plus du fond de la race dans sa splendeur radieuse. Ce qui est la marque de cette bravoure, c’est justement qu’elle fait partie des qualités de la race, qu’elle est naturelle, spontanée, instinctive, et qu’aux âmes nées dans un tel pays la valeur n’attend pas le nombre des années. Le héros français nous apparaît le plus volontiers sous les traits d’un héros jeune. De la jeunesse il a l’insouciance, la pétulance et l’entrain. On l’humilierait à lui dire qu’il a le mépris du danger ; loin de le mépriser, il le recherche, il en a le goût, il en subit l’attirance. Il ne se contente pas de lui faire face et de l’attendre sans reculer : il va au devant, il le provoque, il le défie. A l’instant de la bataille, une allégresse sacrée s’empare de lui. Il se bat dans l’enthousiasme, dans une frénésie d’ardeur belliqueuse, et l’ennemi le reconnaît à cette « furia » dont le nom est italien, mais la chose est française. Or tout cela est français d’aujourd’hui comme il était français d’hier. Pour un public de jeunes gens il n’y a qu’une pièce, et c’est le Cid. J’ai vu donner en matinée, devant des salles exclusivement composées de jeunesse, la Dame aux Camélias. Évidemment, c’était une erreur. Si on demandait quelle est, dans tout le théâtre français, la pièce la plus française, personne n’hésiterait à désigner le Cid.

La merveille, dans Horace, est que Corneille y a ouvert devant nous l’intérieur d’une famille et nous a fait suivre le retentissement que la guerre y provoque dans le cœur de chacun. C’est bien pourquoi aucune pièce aujourd’hui ne saurait lui être comparée pour l’intensité de l’émotion qu’elle provoque en nous. Pères, enfans, frères et sœurs, épouses, fiancées, chacun a, suivant son âge, son sexe, sa situation, une manière différente de s’émouvoir : c’est ce que montre Corneille, et c’est exactement le tableau de la France actuelle. Comme Horace et Curiace, tous nos soldats, en partant, ont laissé derrière eux des êtres dont il leur a été si dur de se séparer ; et ce qui