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Belle-Alliance, — écrivait-il au chancelier prussien avant même que ses troupes fussent entrées à Paris. — La destinée future de la Prusse réside aujourd’hui entre vos mains. » L’armée victorieuse, à l’en croire, aurait été indignée d’apprendre que les alliés venaient de signer avec les Bourbons un traité qui conserverait à la France ses limites anciennes. « Le monde veut être rassuré contre le génie inquiet d’une nation mauvaise, mais intelligente et intrépide. Honte et malheur si l’on ne profite pas de cette occasion unique pour garantir à jamais la sécurité de la Prusse et de l’Allemagne ! »

Instruit par l’expérience, Gneisenau ne se risque plus, cette fois, à vouloir faire de la Belgique une province prussienne. Au contraire, il réclame pour elle toutes les places fortes du Nord de la France, tandis que, pour la Prusse, il exige le Luxembourg et cette principauté d’Anspach dans l’armée de laquelle il a jadis servi. Il est vrai qu’en échange il propose de donner au margrave d’Anspach nos régions françaises de Luxembourg et l’Alsace, — faute de pouvoir désormais espérer l’attribution de celle-ci à la couronne de Prusse. « Il sied également, — ajoute-t-il, — que les forteresses de la Moselle et du Rhin soient arrachées à la France, comme aussi la Lorraine et tout le pays dont les cours d’eau se jettent dans la Meuse. Impossible de demander et d’obtenir moins, sous peine d’exposer nos gouvernemens au mépris éternel des peuples ! Et quant à la manière dont la Prusse peut et doit parler, c’est, très vénéré prince, ce que vous savez mieux que moi. Jamais, en tout cas, la Prusse ne s’est trouvée placée aussi haut : il convient qu’elle le sente, et en tire profit ! »

Ne croirait-on pas entendre le Treitschke de 1871, ou bien encore l’un des « pangermanistes » officieux d’il y a quatre mois ? Et quand j’aurai ajouté que parfois Gneisenau poussait même l’effronterie jusqu’à réclamer au nom de la « culture » l’attribution à la Prusse de telle de nos provinces, ne sera-t-on pas forcé de reconnaître que c’était vraiment là un « ancêtre » de choix, un « héros allemand «  digne d’être offert en exemple aux futurs soldats des von Kluck et des von Hindenburg ?


T. DE WYZEWA.