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ils ne connaissent que la force. Quelle raison auraient-ils par suite de tenir compte des désirs de l’Italie, si celle-ci n’est pas en mesure de les imposer ? Or, ils l’imaginent du moins : « L’Italie est trop pauvre, trop inhabile à la guerre, pour pouvoir entrer en concurrence avec nous. »

On ne conçoit donc point qu’aucune concession bénévole puisse être consentie jamais à l’Italie au sujet de l’Italia irredenta. Toute l’histoire que nous venons de parcourir le prouve bien. Et cependant cette histoire témoigne aussi du durable attachement des Italiens de l’empire austro-hongrois à leur culture, à leur « italianité, » comme l’étude des événemens, plus forts que la volonté des chefs d’Etats, démontre que, même si l’Italie pouvait toujours rester sourde à leurs plaintes et à leurs appels, sa situation géographique ne lui permettrait pas de se désintéresser de l’Istrie et du Trentin. Elle ne peut abandonner les colonies italiennes du littoral, installées dans des villes prospères, formant un absolu contraste avec les ports de la péninsule qui leur font face et qui sont si disgraciés par la nature. Elle se sent « chassée » de l’Adriatique, cette mer qui baigne pourtant la moitié de ses côtes. Enfin, la possession du Trentin entre les mains de l’Autriche crée pour elle un état d’insécurité insupportable.

Il suffit de jeter les yeux sur une carte pour constater que le Trentin pénètre entre la Lombardie et la Vénétie « comme un coin : » l’expression se retrouve invariablement chez tous les géographes ou écrivains militaires qui ont parlé de cette région. Ainsi que le remarquait l’un d’eux, la frontière italo-autrichienne ressemble à un S couché, dont la base repose aux sources de l’Adda, la boucle s’avance entre Milan et Vérone, et le sommet enveloppe le territoire de Venise. Maîtres du Trentin, il est aussi aisé aux Autrichiens d’envahir le territoire italien que difficile aux Italiens de pénétrer en Autriche. Plus de sept routes divergentes permettent de déboucher de ce bastion du Tyrol, dont le défenseur, comme le fit si habilement le général Khün en 1866, peut de Trente se porter tour à tour sur chacun des points menacés. D’autre part, la présence dans les montagnes du Trentin de forces ennemies intactes rendrait très dangereuse, sinon impossible, la marche d’une armée italienne, voulant, comme le fit Bonaparte en 1797, mais seulement après avoir écrasé Wurmser et Alvinzy, s’élever par la Vénétie et le