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Frioul vers Vienne ; son flanc gauche serait exposé à être enfoncé, tandis qu’au contraire, protégées par des troupes gardant une expectative menaçante dans le Trentin, les masses autrichiennes peuvent, après avoir franchi l’Isonzo, s’avancer librement dans la large plaine d’alluvions entre les Alpes et la mer.

L’Autriche a su d’ailleurs rendre encore plus forte cette situation naturelle. « Entouré de forts cuirassés et de batteries casematées, Trente est devenu dans ces dernières années un camp retranché de premier ordre. » Les six forts Cevezzano, Bucco di Vêla, Matarello, Romagnano, San Rocco, Sopramonte, constitueraient un obstacle sérieux, même pour une artillerie lourde qu’il serait d’ailleurs malaisé d’amener à pied d’œuvre. D’autres points du Trentin, — notamment Riva, — ont été solidement fortifiés, et de nombreuses lignes stratégiques viennent faciliter les mouvemens de troupes à l’intérieur du pays. Le tracé de la frontière actuelle, tel qu’il a été établi en 1866, est aussi désavantageux pour l’Italie à l’Est qu’au Nord ; il laisse à l’Autriche, avec les deux rives de l’Isonzo, le libre passage du fleuve. L’offensive autrichienne menace l’Italie par le Trentin, par le Frioul oriental et aussi par l’Adriatique, car de Venise au canal d’Otrante il n’y a pas un port de guerre, comme du lac de Garde à la mer on ne trouve pas une place pour la retarder : « Elle menace Milan comme Vérone, comme Venise, comme Ancône et jusqu’à Bari. »

On conçoit donc que les Italiens ne puissent assister en spectateurs indifférens a la crise que l’Europe traverse. S’ils admettent un instant l’hypothèse d’une Autriche victorieuse, beaucoup disent dans les couloirs du Parlement, écrivent dans les grands journaux de Rome, de Milan et de Naples, que c’en serait fait alors de leurs espérances anciennes ; installé à Trente et à Trieste pour n’en plus jamais sortir, l’Empire des Habsbourg y formerait l’avant-garde de la Germanie, de même qu’en Albanie ou dans le Balkan, sa prépondérance ne laisserait plus de place à l’activité italienne.

Mais une victoire des Slaves pourrait n’être pas non plus sans danger pour l’Italie, si celle-ci, n’ayant pas pris part au conflit, ne se trouvait pas consultée au moment du définitif règlement de compte. Sans envisager la disparition totale de l’Autriche, qui ne serait probablement dans l’intérêt de personne, on peut prévoir, à la suite de cette guerre, une refonte de sa