Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 25.djvu/659

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tous ces gracieux détails donnent à l’envoi royal un caractère personnel et intime qui n’est sûrement pas ce dont les pauvres blessés sont le moins touchés. En France, non plus, ni les blessés, ni les combattans n’ont été oubliés. Du peuple entier, des enfans eux-mêmes, leur sont arrivés d’innombrables témoignages d’affection et de reconnaissance. Et les autres pays auront, sans doute, fait de même. Il n’y a peut-être jamais eu, dans l’histoire, de Noël aussi douloureux que celui de 1914 ; il n’y en a peut-être jamais eu d’aussi beau. Une fois de plus l’étoile de Bethléem aura jeté son doux éclat parmi la nuit sombre, et du Dieu fait Homme on aura pu dire que sa lumière luit dans les ténèbres.


29 décembre.

On a conduit au cimetière trois de nos pauvres soldats ; et il y en a trois sur le point de mourir. Nous étions moins éprouvés depuis quelques semaines. À l’année 1914 près de nous quitter il fallait un cortège digne d’elle, un cortège de mourans et de morts. Elle aura même eu le temps qui lui convenait, d’ouragan et de pluie glacée ; il n’y manque que le sang. Mais non, le sang n’y manque pas ! Il se mêle à la boue dans les plaines de Flandre et de Pologne, à la neige sur les pentes des Vosges, des Karpathes et des monts Caucase ; on en voit les traces rouges dans les champs, sur la place des villages en ruine, dans les rues des villes bombardées, dans l’eau des fleuves qu’on se dispute, sur les épaves que rejette la mer. l’effroyable année !

Mais, quand même, l’année admirable, et « l’année sublime[1] ! » l’année des dévouemens, des réconciliations et des héroïsmes. Dieu connaît le bien qui est sorti de tant de souffrances, le bien plus grand qui en sortira ; c’est pour cela qu’il les a permises et qu’il n’a pas arrêté dans leur déchaînement les volontés criminelles, mais libres, qui en sont responsables. Nous aussi, un jour, nous le connaîtrons, ce bien si chèrement payé. Nous n’en jouirons pas seulement, comme déjà nos morts bien-aimés, dans le monde invisible où chaque personne récolte en fruits de joie ou de peine ce qu’elle a semé de mérites ou de fautes ; nous en jouirons dès ce monde même,

  1. Suivant le mot, qui restera, de M. Étienne Lamy dans son discours à la séance publique annuelle de l’Académie française.