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marqué sa supériorité ; c’est par cette puissance qu’un Weierstrass, un Kronecker, un Georg Cantor ont montré la force de leur esprit géométrique.

Par cette absolue soumission de leur esprit géométrique aux règles de la Logique déductive, les mathématiciens allemands ont fort utilement contribué à la perfection de l’Analyse. Trop volontiers, les algébristes qui, avant eux, avaient brillé chez d’autres peuples s’étaient, plus que de juste, fiés aux intuitions de l’esprit de finesse ; aussi leur était-il souvent arrivé de formuler comme démontrées des vérités qui n’étaient que devinées ; parfois même des propositions avaient été, à la hâte, données comme exactes, alors qu’elles ne l’étaient pas ; la Science germanique a grandement contribué à débarrasser le champ de l’Algèbre de tout paralogisme.

N’en citons qu’un exemple entre mille. Par une intuition trop prompte et trop sommaire, l’esprit de finesse avait cru reconnaître que toute fonction continue admet une dérivée ; pressant plus que de juste l’esprit géométrique, il avait fait accepter à celui-ci d’apparentes démonstrations de cette proposition ; en formant des fonctions continues qui n’ont jamais de dérivées, Weierstrass a montré combien, au cours d’une déduction algébrique, pouvait être dangereux l’abandon momentané de la rigueur.

L’extrême rigueur de l’esprit géométrique a donc, pour les progrès de l’Algèbre, de très grands avantages ; elle présente aussi de très graves inconvéniens. Soucieuse à l’excès d’éviter ou de résoudre des objections qui ne sont que vétilles, elle embarrasse la Science de discussions oiseuses et fastidieuses. Elle étouffe l’esprit d’invention ; en effet, avant de forger la chaîne, aux maillons éprouvés, qui doit, aux principes, rattacher une vérité nouvelle, il faut bien, tout d’abord, avoir aperçu cette vérité ; cette intuition qui, en toute découverte mathématique, précède la démonstration, elle est apanage de l’esprit de finesse ; l’esprit géométrique ne la connaît point et, au nom de la rigueur, il lui dénie volontiers le droit de s’exercer. Inquiets des dangers que fait courir, à la puissance d’inventer, l’usage trop exclusif de l’esprit géométrique, certains géomètres, tel M. Félix Klein, se sont rencontrés, même en Allemagne, pour revendiquer, dans le domaine de la méthode algébrique, la place des intuitions propres à l’esprit de finesse.