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de notre pensée, je demandai à ces dames si, pendant cette longue nuit, la conversation était tombée sur ce sujet brûlant, et quelle impression elles en avaient rapportée. Je me souviens même d’avoir posé une question à laquelle le lendemain devait répondre : « Allaient-ils, en cas d’hostilités, violer la neutralité de la Belgique ? » Personnellement, j’en avais la conviction intime depuis longtemps. Mais une jeune dame belge me rassura, défendant énergiquement ses danseurs contre d’aussi abominables soupçons. Elle me dit textuellement : « Je le leur ai demandé, car vous pensez bien que cela nous intéresse au plus haut point. Ils m’ont confié qu’il était dans les intentions de l’état-major de passer par le Luxembourg et ce plan était considéré comme n’étant un secret pour personne, mais que la neutralité de la Belgique serait rigoureusement respectée, toutes dispositions étant prises pour qu’aucun conflit armé ne fût engagé avec ce pays ami… »

Nous nous tenions alors dans un vestibule, et comme je continuais à opposer à ces affirmations une incrédulité marquée, un hôte de passage, assis près d’une table, se retourna vers moi et me dit avec vigueur : « Vous n’avez pas le droit d’en douter, monsieur. Jamais l’Allemagne ne violera la Belgique. »


Quelques jours après le départ de l’Académie de guerre, arriva, à Liebenstein, un journaliste anglais, rédacteur du Daily Mail. On me le présenta et je passai une soirée avec lui. Il me dit à quel point l’Angleterre s’inquiétait de la situation créée par l’Allemagne. Son journal l’avait envoyé dans tous les grands centres, pour faire une enquête sur l’état d’esprit de cette nation. Avec la précision de son bon sens britannique et de son impartialité, il m’en parla longuement, tantôt avec une admiration sans réserve, tantôt avec la profonde inquiétude d’un observateur qui sait distinguer les réalités des apparences.

« Si les choses continuent comme elles vont, disait-il, l’Allemagne deviendra bientôt le maître insupportable de l’univers et elle nous ruinera sans vergogne jusqu’à la famine. » Il me quitta fort troublé, les poches bourrées de notes et de chiffres, très pessimiste sur l’avenir, malgré cette bonne humeur de l’Insular, qui se défend en riant contre le gros temps.