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La vie continua plus insouciante et plus brillante que jamais. Il est vrai que les représentations du théâtre, peu suivies par les hôtes de distinction, offraient au public de ces opérettes viennoises, faites sur le modèle de la Veuve Joyeuse, d’une écœurante stupidité. Interprétées par ces troupes balnéaires, elles faisaient toucher à l’étranger le fond de cette chose cruelle : la vulgarité allemande dans la frivolité. Le théâtre de la Nature, contrarié par la pluie, faisait souvent relâche. Mais on organisait des excursions, on donnait à dîner ; les fêtes champêtres, improvisées en quelques heures, portaient au comble de la perfection le génie administratif de la Société des Bains. Aux endroits en apparence inaccessibles, sur les ruines féodales des châteaux, on trouvait, comme par enchantement, des orchestres dissimulés, guettant l’arrivée des augustes seigneuries dans les fourrés des grands bois. Montées par des camions automobiles, des cuisines étaient installées, et lorsque les invités arrivaient à un point choisi, où chacun s’attendait à goûter une collation sommaire de buffet de gare, on trouvait des tables fleuries, un repas servi avec un tel raffinement, un tel luxe de mets sortant du four, par les soins les plus experts, que les gens, habitués à l’excellence d’une grande maison, étaient transportés d’admiration. Je me souviens d’une dernière de ces fêtes au sommet d’une ruine. Un violent orage menaçait, au dessert, ces aimables dispositions. En en clin d’œil, tout fut débarrassé, les fourneaux de cuisine démontés devant nous, comme si un ennemi, dans un instant, allait surprendre ces somptueux campemens. Chacun sentait, là, de redoutables habitudes militaires d’une foudroyante mécanique dans cette simple fuite réglée devant l’orage.

En arrivant à l’hôtel, on m’apprit que le jeune M. de N... venait d’arriver, avec son précepteur, pour un stage à la clinique ophtalmique. J’allai le voir aussitôt. Il semblait dépaysé, et je m’employai à le rassurer et le distraire de mon mieux.

Le dimanche suivant, le docteur W... nous amena avec la comtesse R... et sa nièce, la plus jeune demoiselle d’honneur des impératrices de Russie, à travers ces curieux pays aux noms bizarres qui donnèrent jadis asile aux Vieux-Serbes et où des localités entières portent encore la forte empreinte slave dans les mœurs, le type, et même des survivances de langue. Ce sont pourtant les pays de la Réforme, le berceau de la mère de