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bien le sien. Dans toute la grandeur et toute la beauté du mot, Verdi fut l’homme de son pays. D’abord il en aima, — passionnément, — la campagne, la terre elle-même. On pourrait extraire de sa correspondance, en particulier de ses lettres à Mariani, le chef d’orchestre, un éloge, un poème des champs. L’éditeur de la correspondance a mis en pleine lumière cet aspect en quelque sorte géorgique de la figure du grand musicien, « agriculteur vigilant et économe, absorbé par la pensée de sa terre et par les minutieuses occupations de la vie champêtre... Dans la pleine activité des travaux de la campagne, qui sont aussi une source de poésie autant que de richesse, il montra pendant plus de cinquante ans l’équilibre merveilleux de ses facultés intellectuelles. Il en usa pour déployer ensemble, en un bel accord des énergies humaines, le haut essor de l’imagination artistique et la marche difficile du colon industrieux s’efforçant d’atteindre aux fins utiles et pratiques de l’existence. »

Après le « paysan. » compris de la sorte, il faudrait montrer, honorer en Verdi le patriote, le défenseur et l’apôtre de la liberté, de toutes les libertés de son pays. Liberté musicale d’abord. Sans être jamais insensible, encore moins rebelle au génie étranger, l’auteur, non seulement du Trovatore et de la Traviata, mais d’Otello et de Falstaff, est demeuré pieusement, finalement fidèle à l’idéal italien. Il ne manque pas, dans sa correspondance, une occasion de le définir et, comme on dit, de le « situer. » Surtout il s’efforce de le prémunir contre les influences extérieures, bonnes seulement, sous prétexte de l’élargir, à le dénaturer. Il estima toujours que, par nature, la musique italienne était surtout vocale, et devait le rester. S’il avait composé lui-même, pour se divertir, un quatuor à cordes, il en faisait peu de cas : « Je croyais naguère et je continue de croire, sauf erreur, que le quatuor est une plante étrangère au climat italien. » Tout en faisant des vœux pour le genre symphonique. il souhaitait plus ardemment la renaissance en Italie de l’autre genre, italien naguère, et tout différent. « Il est bon, comme disent les docteurs, d’élever le public jusqu’au grand art, mais il me semble que l’art de Palestrina et de Marcello est tout de même un grand art, et c’est le nôtre. »

Ailleurs (1883) : « On ne trouve plus aujourd’hui de maîtres ni d’élèves qui ne soient atteints de germanisme... c’est une maladie qui doit, comme une autre, suivre son cours. » De la même année : « Cette invasion d’un art étranger nous a aveuglés au point de ne plus voir que les Allemands, en faisant de la musique allemande, ont raison. Mais nous, en les imitant, nous avons renié notre génie et nous faisons