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une musique sans caractère italien, hybride et bâtarde. » Enfin : « Avec les plus audacieuses découvertes de la musique moderne, on ne peut plus faire du Palestrina, mais s’il était mieux connu et mieux étudié, nous écririons plus à l’italienne et nous serions meilleurs patriotes (en musique, s’entend). »

Patriote, Verdi, ne l’était pas seulement en musique, et le grand artiste fut un grand citoyen. Sa vie politique et parlementaire (comme député à la Chambre de Turin) n’eut pas une longue durée. Simple, désintéressée et généreuse, le récit n’en remplit guère qu’une vingtaine de pages, sur les sept ou huit cents que le volume comporte. Mais l’amour de la patrie inspira les premiers opéras du maître et sa vie tout entière. Nationaliste avec ferveur et quelquefois avec une sainte jalousie, il n’a pas tout aimé, tout admiré de nous, Français. A lui, si grave, et même un peu farouche, nous avons pu quelquefois paraître légers et frivoles. En 1847, il écrivait, de Paris : « Paris ne me plaît pas comme Londres, et j’ai une extrême antipathie pour les boulevards. Chut ! et que personne au moins ne m’entende proférer un tel blasphème ! » Mais s’il n’a pas épargné nos travers, le grand Italien ne nous a pas non plus ménagé sa reconnaissance pour nos bienfaits et sa pitié pour nos malheurs. Sur les premiers bénéfices que lui rapporte la composition, avant même la représentation, d’Aida (août 1870), il charge son représentant à Paris de prélever une somme de deux nulle francs : « Consacrez-la, de la manière que vous jugerez la meilleure, au soulagement de vos courageux et malheureux blessés. »

Quelques jours plus tard : « Je suis désolé des nouvelles de France. Pauvre pays et pauvres nous ! » A mesure que les événemens se précipitent, la sympathie du maître s’accroît avec notre péril et notre infortune. Et ce n’est pas seulement pour notre pays qu’il s’afflige : il s’inquiète même pour le sien. Du 13 septembre 1870 : « Je déplore les malheurs de la France et je crains un avenir terrible pour nous. Ah ! le Nord est un pays et une race qui m’épouvante. »

Finissons par une dernière lettre, où certaines critiques, — renouvelées, — de notre caractère, font très vite place à cet éloquent, à ce prophétique plaidoyer pour notre pays contre nos adversaires : « La France a donné la liberté et la civilisation au monde moderne. Et si elle tombe, ne nous faisons pas d’illusions, toutes nos libertés et notre civilisation tomberont. Nos lettrés et nos politiques ont beau vanter le savoir, les sciences, et même (Dieu leur pardonne I) les arts de pareils vainqueurs. S’ils regardaient un peu plus avant, ils verraient que dans