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surtout élevée dans les pays neutres, et ceux mêmes qui, jusqu’ici, avaient été le plus paralysés par la crainte de l’Allemagne s’affranchissent de ce sentiment. Quand nous parlons de protestations, il ne s’agit pas pour le moment de protestation officielle : on attend les événemens, on veut encore croire que la menace de Berlin ne sera pas suivie d’effet, que l’orage aura grondé sur les hauteurs sans que la foudre tombe. Mais qu’arrivera-t-il le jour où un premier navire neutre sera torpillé ? En attendant, les journaux s’expriment avec une vivacité inaccoutumée et, d’un bout à l’autre du monde, il y a une telle unanimité dans leur langage que l’Allemagne ne pourra manquer d’en être frappée. Si elle ne l’est pas, c’est que la rage que lui inspire son impuissance aura finalement porté atteinte à sa raison.

N’est-elle pas en voie d’en venir là ? Nous lisons, aussi ce qui pénètre en France de ses journaux, et c’est une lecture instructive. Veut-on quelques citations ? Les deux navires qui ont été torpillés, il y a quelques jours, dans la mer d’Irlande, l’ont été après avertissement préalable. A ce propos, la Gazette de la Croix écrit : « Si nous devions suivre la même procédure que naguère dans la mer d’Irlande, il nous serait impossible de confondre les navires neutres avec ceux de nos ennemis. Il paraît que nous allons maintenant torpiller les navires sans avis préalable. Nous accueillerons avec satisfaction l’annonce que nos sous-marins vont faire à toute la marine de nos ennemis la guerre la plus impitoyable. » C’est déjà bien, mais le Lokal Anzeiger a trouvé encore mieux : « Que nous importent, dit-il, les criailleries des neutres et l’indignation de nos ennemis ! Nous autres Allemands, nous avons à tirer de cette guerre une grande leçon, celle de ne pas manifester de délicatesse et de ne pas écouter ce que les neutres peuvent dire. » Ne pas manifester de délicatesse est un but qu’au point où ils en sont les Allemands atteindront sans grand effort : quant à ne pas écouter ce que disent les neutres, peut-être auront-ils tort de le faire. En Amérique, les membres de la Commission sénatoriale des Affaires étrangères ont fait la déclaration que voici : « Nous pouvons dès à présent affirmer que la moindre manifestation d’hostilité d’un sous-marin allemand, à l’égard d’un navire américain, provoquerait une protestation immédiate du gouvernement des États-Unis. Nous n’avons aucune intention d’intervenir et M. Bryan fait de son mieux pour arranger les choses, mais la patience a des limites que l’on ne saurait dépasser. » M. Bryan fait effectivement de son mieux pour arranger les choses ; mais si le