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Sud-Est, les fusiliers marins, précédés d’auto-mitrailleuses belges et soutenus par notre 50e batterie, ayant poussé une reconnaissance hardie jusque dans Eessen. Des goumiers marocains les accompagnaient. Nos soldats, dont ils traversèrent les lignes, voyaient pour la première fois ces beaux frères de bronze et de feu, qui allaient, dans tant de rencontres, mêler leur sang au leur, et qui répondaient à leurs acclamations par un large sourire blanc.

L’aube du lendemain se leva sur un nouvel orage. Aux claquemens du 77 allemand se mêlait maintenant un grondement plus sourd et plus lourd. La grosse artillerie de Krupp était arrivée. De Westende-Lombaertzyde, où trois nouveaux assauts ne réussissaient pas mieux que la veille, elle bombardait Nieuport avec acharnement. Dans Mannekensvère reconquis elle rendait intenable la position de l’intrépide major Evrard. Celui-ci demanda du secours. La compagnie du commandant Dungelhoef fut désignée pour aller lui prêter main-forte. A peine était-elle sortie des tranchées et avait-elle franchi, au pas de course, le pont de l’Union, que le commandant, frappé d’une balle au front, tourna sur lui-même et tomba mort. Un flottement tout au plus. La compagnie, tout de suite ressaisie, continua sa marche sous un ouragan de feu. Au milieu de la plaine, pourtant, elle dut s’arrêter et se terrer. Le major Evrard désespéré, à bout de forces, ne pouvait plus tenir seul. Il se résigna à reculer. Bientôt blessé, il refusa de quitter ses hommes. De fossé en fossé, résistant pied à pied, ne cessant de tirer, son bataillon mit une heure et demie à traverser les huit cents mètres qui le séparaient des tranchées. Il venait de rentrer sous la protection de celles-ci quand, dans une gerbe de pierres et de fumées, le pont de l’Union sauta. Dès lors, pendant six jours, c’était sur les tranchées mêmes et le bourg voisin de Saint-Georges que devait se déchaîner l’orage.

La ligne avancée fléchissait donc. Si nos petits 75, dans la tête de pont de Schoorbakke, ripostaient victorieusement à la grosse artillerie allemande, nous étions définitivement chassés du village de Keyem devant lequel s’acharnait vainement une contre attaque du 13e de ligne. Nous avions perdu Beerst à l’aube, et si les fusiliers marins l’avaient reconquis à midi, les ennemis en forces les en avaient bientôt rejetés. La ligne des