Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 29.djvu/365

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’indignation générale, comme contraire au droit des gens, puisqu’elle effrayait les chevaux et ne permettait plus aux preux de combattre de près à armes égales. Un siècle plus tard, l’artillerie française des frères Bureau était la première du monde, écrasant à Castillon les prouesses du vieux Talbot, le dernier des paladins anglais. Et les leçons reçues des artificiers italiens, experts en procédés de toutes sortes pour l’attaque et la défense des places, allaient permettre aux Français de perfectionner encore leur outillage, d’adapter en grand ce qu’ils avaient vu faire en petit dans telle ou telle cité, par telle ou telle bande de la Péninsule, bref, de donner une fois de plus aux idées venues d’ailleurs la hardiesse et l’ampleur qui en feraient une chose bien française. Unifiée, affinée, outillée pour la guerre comme pour la paix, la France de François Ier est déjà donc, en 1515, un État moderne, non pas certes dans le sens démocratique que nous attribuons aujourd’hui à ce mot, mais dans celui de puissance cohérente et disciplinée, qui, de Machiavel à la Révolution française, dominera de son idéal la politique générale. Par son unité morale et politique, autant que par ses réserves financières et militaires, elle est alors la plus grande force qu’il y ait en Europe au service d’une volonté unique. Les plus belles destinées lui sont promises, pour peu qu’elle en ait conscience et qu’elle sache s’y préparer.

Pour s’opposer à cette puissance exubérante, aucun autre État ne possède alors en Europe ni les richesses qui autorisent les vastes desseins, ni l’idée directrice capable d’en assurer le succès. Sans doute, au-delà des Pyrénées, l’Espagne a déjà constitué l’unité, qui, après des siècles de guerres obscures, va l’armer pour la conquête du monde ; mais Ferdinand y règne encore, et son petit-fils, le jeune archiduc Charles, ose à peine rêver de pouvoir ceindre un jour la double couronne, impériale et royale, qui fera de lui, plus tard, l’arbitre de l’Europe, et, de sa maison, le plus redoutable danger qui menacera la France pendant un siècle. Tenue séculairement à l’écart de la grande politique européenne par ses luttes d’affranchissement et d’expulsion des Maures, l’Espagne est absorbée par la fondation de l’immense empire colonial qui lui est échu presque malgré elle et causera tour à tour sa splendeur et sa ruine. Sans doute la couronne d’Aragon a-t-elle en Italie des intérêts et une armée ; mais ce sont des intérêts secondaires pour lesquels elle ne