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à refaire. La preuve en est qu’à chaque époque on reconnaît dans le type de théâtre un modèle emprunté au monde politique contemporain.

En somme, ce que Jules Lemaître reproche au député Leveau, c’est d’être un abominable cabotin. Non du tout que cet homme de tant d’esprit, et d’un esprit si accueillant, fût, sans distinction et sans nuances, l’ennemi des cabotins ; au contraire, il les aime bien, mais quand ils sont chez eux, c’est-à-dire au théâtre. A la répétition générale de Flipote, l’auteur était dans la salle, riant de tout son cœur. C’est pour se divertir qu’il avait peint d’une main légère, avec une gaminerie amusée, ce monde spécial qu’il avait appris à connaître en travaillant pour lui. Chez les gens de théâtre, le cabotinage, à force d’être nature], cesse d’être déplaisant et rejoint la sincérité. Ils se meuvent dans une perpétuelle illusion. Le moyen qu’ils ne jouent la comédie que pour les autres ! Ils se la jouent à eux-mêmes, et de la même manière. Ils se composent un personnage de leur emploi. Chaque situation où ils se trouvent réellement engagés leur rappelle une situation de théâtre, dont elle semble la copie et y revient insensiblement. Leur mémoire ne les laisse jamais à court de répliques et de « mots. » Uniquement occupés de paraître et de faire semblant, ce souci de l’effet à produire entretient en eux une sorte de puérilité. On a noté la facilité qu’ont les enfans à vivre dans la fiction : ils naissent comédiens. Les comédiens restent enfans. Ce sont de grands enfans qui nous désarment par leur immense naïveté. Flipote n’est qu’une pochade, mais peinte d’après nature et enlevée avec bonne humeur. L’aventure de Flipote dévouée à son Leplucheux jusqu’à lui être fidèle, tant que ce pitre est salué par les sifflets du public, et qui le quitte dès que le succès a mis entre eux la jalousie, a toute la valeur d’un symbole. Mlle Anglochère, si décente dans son rôle d’entremetteuse, le ménage Rosimond (dans le Député Leveau) d’une respectabilité si parfaite, trop parfaite pour ne pas avoir été étudiée devant la glace, sont des types excellens. Bien sûr, l’ombre de Madame Cardinal et de ses « demoiselles » plane sur tout ce monde falot ; mais pour n’être pas entièrement originales, ces créations n’en sont pas moins savoureuses.

J’ai hâte d’arriver à la partie de ce théâtre où l’auteur a fait œuvre vraiment neuve et pour laquelle il ne doit rien à personne. Laissons donc de côté les Rois, pièce découpée dans un roman, très bien écrite, trop bien écrite, en phrases de livre, et qui est une tragédie politique en prose, un drame d’histoire moderne, tout plein de vues