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Les prisonniers sont enfermés dans un étroit espace de l’entrepont, où le manque d’air, la nourriture infecte, et la crainte perpétuelle des coups de fouet ou de botte de leurs geôliers ne tardent pas à les rendre malades. Malades ou non, d’ailleurs, force leur est de s’employer chaque jour, pendant de longues heures, à balayer le pont et les corridors du bateau. « Que si l’un de nous s’arrêtait un moment, fût-ce même sous l’influence irrésistible du mal de mer, une corde à nœuds s’abattait aussitôt sur ses épaules. Notre souffrance était, pour nos gardiens, une source merveilleuse de divertissement. Ils ne se fatiguaient pas de se complimenter l’un l’autre de la vigueur des coups qu’ils nous administraient ; et je garderai toujours dans l’oreille le bruit de leurs rires épanouis chaque fois que l’un de nous, vaincu par la douleur ou la crainte, s’humiliait devant eux. »

Un jour, enfin, la patience du docteur Harrington s’épuise. Indigné du traitement scandaleux que lui-même et ses compagnons se trouvent contraints de subir, avec cela furieux d’avoir été séparé de sa Lida, qu’il ne lui a plus été donné de revoir depuis leur arrivée à bord du bateau, il ne résiste pas au désir d’exprimer nettement à ses geôliers le mélange de mépris et de haine amassé dans son cœur. Sa « rébellion » lui vaut, naturellement, la perspective d’avoir à comparaître devant une « cour martiale ; » et déjà le pauvre garçon, dans la cellule où on l’a enfermé, se prépare bravement à affronter la mort, lorsqu’il est soudain distrait de ses méditations par le bruit d’une fusillade prolongée, avec une « Babel de cris où s’entremêlent des vociférations d’indigènes et toute sorte de jurons en langue allemande. » Puis le bateau, qui s’était brusquement arrêté, reprend sa marche, la rumeur s’apaise par degrés, et Harrington voit surgir, au seuil de sa cellule, l’un des jeunes officiers du bord, qui lui ordonne de monter sur le pont. Dans le grand salon de l’arrière, un autre des jeunes officiers qui escortaient d’ordinaire le commandant von Oppel est étendu sur une table, la poitrine à nu, et tout baigné de sang.

— Docteur Harrington, s’écrie le commandant, voici de l’ouvrage pour vous, et je vous serai reconnaissant de vous y mettre sans retard ! Mon neveu, que vous voyez là, vient d’être blessé. J’ai bien peur, ach ! mein Gott ! que sa vie nous échappe ! Franz, mon enfant, reviens à toi !

Ce Franz se trouvait être l’unique médecin allemand du bord ; et la blessure qu’il a reçue va sauver, providentiellement, la vie de son jeune confrère anglais. Délivré de ses menottes, comblé de sourires