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Rien de plus délicieux que la route de Sainte-Menehould à Clermont par les Islettes. Elle coupe, dans sa largeur, la grande forêt. En haut de la descente, vers la dépression de la Biesme, la vue est ravissante sur les croupes arrondies de l’Argonne et les lointains tout boisés.

Je trouve le général, tout seul, dans la jolie maison qu’il occupe. Chacun de ces villages d’Argonne a sa gentilhommière qui appartient le plus souvent aux descendans des maîtres-verriers.

Le général Gouraud a été atteint d’une balle au cours d’un combat très violent livré par sa division, le mois dernier.

Par un extraordinaire hasard, la balle est passée entre le bras et le corps, effleurant deux artères, sans en toucher aucune. C’est la chance merveilleuse de ceux qu’a marqués de son empreinte la Fortune, parce qu’ils sont promis par elle à de hautes destinées.

Bien qu’il ait un peu de fièvre et qu’on soit obligé, de temps à autre, de le « charcuter, » comme il dit, le général n’a pas voulu quitter son commandement.

Il est lui aussi devant un adversaire qui lui laisse peu de tranquillité.

Les Allemands multiplient leurs attaques. Mais on leur tient tête, jusqu’au jour où on les repoussera.

Quel beau regard plein de limpidité et de mâle énergie ! Quelle belle tête de soldat. Je songe, en le quittant, à ce qu’on disait d’un des grands généraux de Napoléon :

« Les gens devenaient braves rien qu’en le regardant ! »

Un peu de neige est tombée hier. Il a gelé la nuit dernière. Ce matin, le ciel est clair, le soleil brille. Nous partons à cheval de La Neuville vers la Harazée. On passe à Moiremont. On redescend en longeant la forêt dans la vallée de l’Aisne à Vienne-la-Ville. À quinze cents mètres plus loin, on quitte cette vallée pour celle de la Biesme, qui coupe en deux du Nord au Sud, puis de l’Est à l’Ouest, la grande forêt de l’Argonne. Vienne-le-Château, très pittoresque village, d’aspect forestier et montagnard. La jolie petite rivière le traverse en bouillonnant. Juché sur un piton qui domine, le vieux château qui barrait la vallée. C’était ici un des fameux « défilés de l’Argonne. » Un kilomètre plus loin, la Harazée. Nous revenons en coupant droit à travers la forêt. En dehors des sentiers et des layons,