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peuple russe voit avec douleur la trahison de la Bulgarie, si rapprochée de lui jusqu’en ces derniers jours, et, le cœur saignant, tire son épée contre elle, en remettant le sort des traîtres à la cause slave à la juste punition de Dieu. » Ces paroles ont une grandeur qui frappe et peut-être feraient-elles quel que effet sur les Bulgares, s’ils pouvaient les lire ; mais est-il besoin de dire que pas un seul exemplaire du manifeste impérial ne pénétrera en Bulgarie ? Il est donc fait surtout pour la Russie elle-même et pour le monde qui jouit encore de la liberté. Ce qui nous y plaît surtout, c’est qu’il est un engagement solennel, une promesse d’action. Ce n’est pas en vain que la Russie tirera son épée contre la Bulgarie, et nous ne doutons pas qu’elle ne trouve le chemin pour l’atteindre. Mais, encore une fois, il faut se presser.

On a pu remarquer, dans la citation que nous avons faite de son discours, que sir Edward Grey confond volontiers les intérêts de la Grèce et de la Serbie, puisqu’il annonce l’intention de leur donner à l’une et à l’autre toute l’aide possible. Cela nous amène à dire un mot de la démarche que l’Angleterre a faite récemment à Athènes et de l’insuccès qu’elle a eu. Ainsi que, jusqu’au dernier moment, et même un peu après, sir Edward Grey n’a pas voulu croire que la Bulgarie ferait fi de l’union balkanique et attaquerait la Serbie, il ne veut pas admettre encore que la Grèce puisse séparer son sort de celui de cette même Serbie. N’y a-t-il pas, entre les deux pays, une communauté d’intérêts qui saute aux yeux et, si cela ne suffisait pas, n’y a-t-il pas un traité qui oblige l’un à voler au secours de, l’autre, s’il est attaqué par un tiers ? Cela suffit pour que leurs destinées restent à jamais unies : du moins sir Ed. Grey s’en croit sûr, et tout ce qui s’est passé en Grèce depuis quelques semaines ne saurait le convaincre du contraire. Pourtant rien n’est plus clair.

La chute de M. Venizelos ; la résolution du Roi de ne tenir compte ni de la volonté du pays, telle qu’elle s’est manifestée aux élections dernières, ni de la volonté de la Chambre, telle qu’elle s’est manifestée dans le vote de confiance donné à M. Venizelos ; l’installation antiparlementaire d’un ministère sans autorité et sans majorité, sont, semble-t-il, des indices suffisans d’une volonté royale qui s’impose également au pays et à la Chambre et qui, à défaut de respect, rencontre la soumission. Sir Edward Grey ne s’en est pas senti découragé : il a cru trouver un moyen de ramener la Grèce à une saine politique. Comment ? La Bulgarie, a-t-il dit dans son discours, a expliqué sa volte-face en avouant que les Puissances du Centre lui