Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 30.djvu/450

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

représentent le côté des parens et même des grands-parens. Le type le plus curieux est celui de Mme de Prébois, cette maîtresse de maison qui, ayant passé l’âge des amours, trouve un plaisir nostalgique à faire de sa maison un lieu de rendez-vous où, sous prétexte de donner à causer, elle donne à aimer. Elle invite toujours ensemble les gens entre qui elle soupçonne ou ménage un flirt. « Si elle avait pu ne satisfaire que ses préférences, elle n’aurait jamais réuni que des êtres jeunes, clandestinement épris de sentimens illégaux les uns pour les autres. Rien ne l’émoustillait comme de supposer une humeur galante dans les sangs qui circulaient invisiblement autour d’elle. » Elle est l’entremetteuse discrète dont l’hospitalité convient à cette société facile.

Nous n’avons encore vu que le décor, la surface attrayante de la vie mondaine : on nous en a laissé à peine entrevoir les terribles dessous. Peints par eux-mêmes nous met en face des pires réalités. On a comparé ce roman par lettres aux Liaisons dangereuses et fait la remarque qu’il en est inspiré. Ce n’est pas assez dire. Le roman de Laclos est de ceux qu’il y a lieu de refaire tous les cent ans ; Paul Hervieu a voulu le refaire : c’est son mérite d’y avoir pleinement réussi. Pour la clairvoyance du coup d’œil, la profondeur de l’analyse et l’impitoyable netteté de l’exécution, il vaut son modèle. Les personnages ressemblent beaucoup à ceux de Flirt, tous les gens d’un même monde ayant entre eux un air de famille ; mais ils sont peints cette fois avec une âpreté qui accuse les traits, avec une hardiesse qui rejette tous les voiles. Le type même de Mme de Prébois se retrouve dans celui de la marquise douairière de Nécringel, la vieille zélatrice de l’amour, qui en expose la théorie et en déduit les principes. Cette ancienne « honneste dame, » devenue une savante matrone, spécifie trois conditions que doit réunir une chute parfaitement ordonnée. « Munie de ces trois raisons, parmi lesquelles une essence d’expiation se mêle à la faute pour la-purifier, la femme me paraît ne pas pouvoir faire autrement que de se donner ni même pouvoir rien faire de mieux, de meilleur, de plus noblement humble, de plus modestement grand ; j’allais ajouter : rien de plus chrétien. » Ce sont les commandemens de l’adultère. On sait assez que les dogmes ne meurent pas : ils se transforment. Une société sans religion glisse à la religion de l’amour. Les lettres de cette vieille