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Lampernisse. Pour donner un peu d’air à la brigade, l’amiral les remplace à Pollinchove par le restant des sections de mitrailleuses. Lampernisse et Pollinchove ne sont que des villages, mais Loo, citadelle désaffectée, compte encore 2 000 habitans. La ville est bien déchue sans doute, depuis le temps où elle faisait l’avant-garde de Furnes vers l’Yser. De son corset de bataille, elle n’a conservé que quelques lambeaux de remparts, des vestiges de fossés. Loo, comme Dixmude, est devenue un gros bourg agricole, épanoui autour de son clocher et tout embaumé d’ « odeurs chaudes de pâtisserie[1]. » Trois « couques » dorées sur champ de gueules, lui composeraient un blason assez congru. Métropole du massepain et des feuilletés à la crème, détachée de sa gentilhommerie au point d’avoir installé une auberge dans son joli hôtel de ville de 1640[2], rien n’y parlerait plus au souvenir sans l’énorme vaisseau de l’église abbatiale et le fameux « arbre de Jules César, » qui, hors des murs, dans un paysage immobile, monte sa faction historique sur l’horizon.

Ce paysage, qui semble avoir été conçu pour la guerre de parallèles, c’est l’éternel paysage géométrique des Flandres : un damier de pâturages, coupé par les remblais des routes, les longues colonnades des peupliers et la ligne droite des canaux. Mais les routes sont défoncées, les arbres hachés, les canaux vides et, sur leurs digues solitaires, s’est tu le hahan rythmé des haleurs. Pour peu que l’inondation progresse jusqu’à elle, Loo pourra se croire revenue au temps où le pirate Godwin cinglait vers ses berges : elle jalonnait alors, avec Oeren et Lampernisse, l’extrémité occidentale du golfe de l’Yser ; elle faisait figure de ville maritime. Aujourd’hui encore, sa position sur le canal de Furnes, au point d’intersection de quatre ou cinq grandes routes, lui assigne un rôle de premier plan dans la défense. C’est un nœud stratégique presque aussi important que Dixmude. Nous y eûmes dès l’abord le gros de nos réserves et de là partirent toutes les attaques rayonnantes lancées avec tant d’audace par le général d’Urbal vers la forêt d’Houthulst,

  1. Pierre Nothomb : l’Yser.
  2. « Chose amusante ici : un bâtiment de joli style Renaissance, qui porte le nom d’hôtel de ville, n’est pas la mairie, comme on pourrait le croire, mais un petit hôtel-restaurant où plusieurs de nos camarades prennent une pension d’ailleurs un peu chère. Il est vrai qu’en temps de guerre et à proximité immédiate du front… » (Journal de l’enseigne C. P…)