Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 30.djvu/932

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le maréchal de Saint-Arnaud et lord Raglan ne craignirent pas de partir de Varna pour Oldfort de Crimée avec 350 navires, la plupart à voiles, portant plus de 60 000 hommes (30 000 Français, 28 000 Anglais, 7 000 Turcs). La mer était libre, dira-t-on… Non pas ! L’escadre russe ne fut coulée dans le goulet de Sébastopol qu’après la bataille de l’Aima. Toutes dispositions étaient donc prises à bord des vaisseaux de guerre des alliés pour la recevoir. Il est vrai que si l’on avait eu, à cette époque, des mines de blocus, on les eût semées à l’entrée du grand port russe et disposé, derrière ce barrage, des navires légers bien armés pour repousser les dragueurs. Qu’est-ce qui empêche de le faire pour le Bosphore, dès maintenant ? C’est d’autant plus aisé qu’on l’a fait déjà ; et c’est, paraît-il, en heurtant l’un des engins de ce champ de mines que le Gœben a reçu les très graves avaries qui l’ont si longtemps paralysé.

Bref, là encore, il n’est que de vouloir et d’accepter résolument les risques inhérens à toute opération de guerre. Mais il y a, à ce sujet, chez beaucoup de militaires, un état d’esprit singulier : tel qui n’hésitera pas à engager sur terre une action qui coûtera 20 000 hommes, recule devant la chance d’en perdre un millier sur l’eau. J’entends bien que ce n’est pas seulement des pertes en personnel que l’on se préoccupe. Tel transport est chargé d’engins et d’objets de matériel (avec le personnel spécialisé) d’un intérêt tellement capital que l’on penserait tout compromis si ce bâtiment disparaissait. Le remède est facile à trouver dans la répartition desdits engins sur le plus grand nombre possible d’unités. On pourra même, en beaucoup de cas, confier un précieux outillage à des navires de guerre ou des croiseurs auxiliaires susceptibles de se défendre efficacement contre les sous-marins. D’ailleurs, les routes de mer, dans le cas qui nous occupe, ne sont-elles pas assez courtes pour que des pertes de ce genre, si pertes il y a, puissent être promptement réparées par un appel aux magasins centraux ? Enfin, les routes de terre sont-elles donc aujourd’hui si sûres, même pour les services à l’arrière, alors qu’aux coureurs de l’ennemi qui, en tout temps, surent faire de fructueuses incursions sur les lignes de communications, sont venus se joindre dirigeables, aéroplanes et hydravions ? Quelle est donc l’armée qui, en plein continent, peut aujourd’hui se flatter de ne rien perdre d’essentiel à 20 ou 30 kilomètres de son front ?…